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LE VIOL DE LUCRÈCE.

LXXIII

Cela dit, il brandit son glaive romain, pareil au faucon qui, planant dans les airs, couvre sa proie de l’ombre de ses ailes, et de son bec crochu menace de la tuer, si elle prend son essor. Ainsi sous cette lame insolente est étendue l’innocente Lucrèce, écoutant ce que dit Tarquin avec la tremblante frayeur de l’oiseau qui entend les grelots du faucon.

LXXIV

« Lucrèce, dit-il, il faut que cette nuit même je te possède : si tu me repousses, j’arriverai à mes fins par la force, car je suis résolu à te tuer dans ton lit, puis j’égorgerai quelqu’un de tes misérables esclaves, pour détruire ton honneur avec ta vie, et je le placerai dans tes bras morts, jurant que je l’ai tué en te voyant l’embrasser.

LXXV

» Ainsi ton mari en te survivant restera exposé à tous les regards comme un objet de dérision ; tes parents baisseront la tête sous l’opprobre, et tes enfants seront flétris d’une bâtardise sans nom ; et quant à toi, l’auteur de leur dégradation, ton trépas sera honni dans des vers que chanteront les générations à venir.

LXXVI

» Mais, si tu me cèdes, je reste ton ami secret. La faute ignorée est comme une pensée non réalisée. Un léger mal, fait pour un grand bien, passe pour un acte de légitime habileté. La plante vénéneuse est parfois mélangée avec la plus saine mixture, ainsi employé, faction de son poison devient salutaire.