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LE VIOL DE LUCRÈCE.

sombre luxure, le déshonneur, l’infamie, le dérèglement, qui cherchent à souiller les flots de ton sang. Si toutes ces sources de corruption altèrent ta vertu, tu verras ton Océan s’ensevelir au fond du bourbier, et non le bourbier se perdre dans ton Océan.

XCV

» Ainsi, les subalternes les plus vils seront rois, et toi tu seras leur subalterne ; en abaissant ta noblesse, tu ennobliras leur bassesse ; tu seras leur vie, et ils seront ta tombe ; leur opprobre fera ta honte, et le tien leur gloire. Les êtres inférieurs ne devraient point éclipser les plus grands. Le cèdre ne rampe pas au pied du vil arbrisseau, mais les humbles arbrisseaux se flétrissent au pied du cèdre.

XCVI

» Ainsi, que tes pensées, humbles vassales de ta dignité… » — « Assez ! s’écrie Tarquin, par le ciel, je ne veux plus t’écouter ; cède à mon amour, sinon, la iolence de la haine, se substituant au contact timoré de l’amour, va te déchirer brutalement. Cela fait, je te transporterai sans pitié dans le lit ignoble d’un infâme valet, pour l’accoupler à ta honteuse dégradation ! »

XCVII

À ces mots, il met le pied sur la lumière, car la lumière et la luxure sont ennemies mortelles. La vilenie, enveloppée des ténèbres de l’aveugle nuit, est d’autant plus tyrannique qu’elle est invisible… Le loup a saisi sa proie, le pauvre agneau crie jusqu’à ce que sa blanche toison, étouffant sa voix, ensevelisse ses gémissements dans les plis suaves de ses lèvres.