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LE VIOL DE LUCRÈCE.

et, comme l’eau qui ronge l’acier, graveraient sur mes joues une honte irrémédiable. »

CIX

Alors elle maudit le repos et le sommeil, et condamne ses yeux à être à jamais aveugles. Elle réveille son cœur en frappant sa poitrine, et le somme de s’arracher de là pour aller chercher dans quelque sein plus pur un asile digne d’une âme si pure. Frénétique de douleur, elle exhale ainsi ses plaintes contre l’invisible secret de la nuit :

CX

« Ô nuit désespérante, image de l’enfer ! Sombre registre, réceptacle de honte ! sinistre scène des tragédies et des meurtres affreux ! vaste chaos recéleur de crimes ! nourrice d’opprobre ! entremetteuse aveugle et masquée ! noir asile d’infamie ! affreuse caverne de la mort ! murmurante affidée de la trahison muette et du viol !

CXI

» Ô odieuse nuit, aux ténébreuses brumes, puisque tu es complice de mon incurable crime, réunis tes brouillards pour affronter l’orientale aurore et lutter contre le cours régulier du temps ! ou, si tu permets au soleil d’atteindre sa hauteur coutumière, avant qu’il se couche, enveloppe sa tête d’or de nuages empoisonnés.

CXII

» Corromps l’air du matin par d’infectes vapeurs ! Empoisonne de leurs exhalaisons malsaines l’atmosphère de pureté, la splendeur suprême du jour, avant qu’il ait