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LE VIOL DE LUCRÈCE.

atteint l’étape pénible de midi ; et puissent tes sombres brumes marcher si épaisses que dans leurs rangs ténébreux le soleil étouffé se couche à midi, pour faire une nuit éternelle !

CXIII

» Si Tarquin était la nuit, lui qui n’est que l’enfant de la nuit, il outragerait la reine aux rayons d’argent ; les satellites radieuses de Phébé, également souillées par lui, n’étoileraient plus le sein noir de la nuit. Alors j’aurais des compagnes de douleur ; et la camaraderie du malheur allège le malheur, comme la causerie des pèlerins abrège leur pèlerinage.

CXIV

» Tandis que maintenant je n’ai personne pour rougir avec moi, pour se tordre les bras, pour baisser la tête, pour se masquer le front, pour cacher son opprobre avec le mien ! Il faut que je reste seule, toute seule, à gémir, arrosant la terre d’amères ondées d’argent, entrecoupant mes paroles de larmes, mes plaintes de sanglots, misérables et éphémères monuments d’une impérissable douleur !

CXV

» Ô nuit, fournaise à la sombre fumée, empêche le jour jaloux de voir cette tête qui, sous ton immense manteau noir, subit l’infamant martyre de l’ignominie ! Garde à jamais possession de ton sinistre empire, dussent toutes les fautes commises sous ton règne être ensevelies également dans ton ombre !