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LE VIOL DE LUCRÈCE.

est grand, plus sa conduite inspire de vénération ou d’horreur ; la plus grande infamie s’attache au rang le plus haut. La lune se couvre-t-elle de nuages, sa disparition se fait aussitôt remarquer ; les petites étoiles, elles, peuvent se voiler à leur guise.

CXLV

» Le corbeau peut baigner ses ailes noires dans le bourbier et s’envoler avec la fange sans qu’on s’en aperçoive ; mais si le cygne, blanc comme la neige, veut faire de même, la tache en restera sur son duvet d’argent. Les pauvres valets sont une nuit aveugle, les rois un jour splendide. Les moucherons volent partout inaperçus, les aigles, remarqués de tous les regards.

CXLVI

» Loin de moi, vaines paroles, servantes de creux imbéciles ! sons inutiles, faibles arbitres ! allez chercher une occupation dans les écoles où la dispute est un art ; intervenez dans les plaidoiries prolixes des stupides plaideurs ; servez de médiateurs aux clients tremblants ; quant à moi, je ne me soucie point d’argumenter, puisque la loi ne peut plus rien pour ma cause.

CXLVII

» En vain je récrimine contre l’occasion, contre le temps, contre Tarquin et la nuit désolée ; en vain je chicane avec mon infamie ; en vain je me débats contre mon inéluctable désespoir ; cette impuissante fumée de paroles ne me fait aucun bien. Le seul remède qui puisse me guérir, c’est de verser mon sang, sang désormais souillé.