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LE VIOL DE LUCRÈCE.

empreintes toutes les douleurs. Elle en voit plusieurs qu’ont creusées les soucis, mais aucune où respirent toutes les souffrances ; enfin elle aperçoit Hécube au désespoir qui fixe ses vieux yeux sur les plaies de Priam étendu sanglant sous le pied superbe de Pyrrhus.

CCVIII

En elle le peintre a résumé les ruines du temps, le naufrage de la beauté, le règne de l’anxiété sinistre. Son visage est défiguré par les crevasses et les rides ; elle ne se ressemble plus ; son sang bleu a tourné au noir dans chaque veine ; la source qui alimentait ses canaux desséchés s’est tarie ; et l’on dirait une vie emprisonnée dans un cadavre.

CCIX

C’est sur ce lugubre spectre que Lucrèce concentre ses regards ; elle conforme sa douleur à la détresse de cette aïeule, à qui il ne manque qu’un cri pour lui répondre, qu’une parole amère pour maudire ses cruels ennemis. Le peintre n’était pas un dieu pour lui prêter tout cela. Aussi Lucrèce jure-t-elle qu’il a eu tort de donner une telle douleur à Hécube sans lui donner une voix.

CCX

« Pauvre instrument muet, s’écrie-t-elle, je prêterai mon chant plaintif à tes malheurs, et je verserai le doux baume sur la blessure peinte de Priam, et je fulminerai contre Pyrrhus qui lui porta ce coup, et avec mes larmes j’éteindrai le trop long incendie de Troie, et avec mon couteau je crèverai les yeux furieux de tous les Grecs, qui sont tes ennemis.