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LE VIOL DE LUCRÈCE.

CCXI

» Montre-moi la prostituée qui a causé cette guerre, qu’avec mes ongles je mette sa beauté en lambeaux ! C’est l’ardeur de ta luxure, insensé Pâris, qui a fait tomber sur Troie en flammes le poids de tant de fureurs ; tes yeux ont allumé le feu qui brûle ici ; et voici qu’à Troie, pour le crime de tes yeux, meurent le père, le fils, la mère et la fille !

CCXII

» Pourquoi le plaisir privé d’un seul devient-il pour tant d’autres un fléau public ? Que la faute du coupable unique retombe uniquement sur sa tête ! Que les âmes innocentes soient à l’abri des malheurs du criminel ! Pourquoi l’offense d’un seul cause-t-elle la chute de tant d’autres ? Pourquoi un tort isolé est-il une calamité universelle ?

CCXIII

» Tenez ! voici Hécube qui pleure ; voici Priam qui expire ; voici le vaillant Hector qui chancelle ; voici Troylus qui s’évanouit ! Ici l’ami est étendu près de l’ami sur une couche sanglante ; là, l’ami fait à l’ami une blessure involontaire ; et la luxure d’un seul ruine tant d’existences ! Si Priam affolé avait réprimé le désir de son fils, c’est la gloire, et non la flamme, qui eût illuminé Troie ! »

CCXIV

Ici elle pleure avec de vraies larmes sur la peinture des malheurs de Troie. Car la douleur, comme une lourde cloche, une fois mise en branle, se meut par son propre