Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
LE VIOL DE LUCRÈCE.

CCXVIII

L’habile artiste avait représenté sous cette douce image le parjure Sinon, dont la fable enchanteresse devait tuer le vieux crédule Priam, dont la parole, pareille à un incendie, devait consumer les splendeurs de la riche Ilion : catastrophe dont les cieux s’émurent au point que les petites étoiles s’arrachèrent à leurs postes fixes, alors que se brisa le miroir où elles se reflétaient.

CCXIX

Lucrèce considère attentivement ce tableau, et reproche au peintre son merveilleux talent ; disant qu’il s’est mépris en représentant ainsi Sinon, et qu’une si belle forme n’a jamais logé une âme si laide ; et elle le regarde encore, et elle le regarde toujours, et elle découvre dans cet honnête visage un tel air de vérité qu’elle en conclut que cette peinture est une calomnie.

CCXX

Elle s’écrie : Cela ne se peut ! tant de fourberie… Et elle va ajouter : Ne peut se cacher sous de pareils traits. Mais alors la figure de Tarquin lui revient à la mémoire, et, au lieu de la négation, arrache de ses lèvres l’affirmation ; elle se ravise, et altère ainsi sa phrase : Cela ne se peut… que trop ! Un tel visage ne peut que trop bien cacher une âme criminelle !

CCXXI

« Car c’est avec le visage qu’assume ici le subtil Sinon, c’est avec cet air de sereine tristesse et de douce lassitude, qui semble la défaillance du chagrin ou du la-