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SONNETS.

LX

Si mon être grossier n’était fait que de pensée, la distance injurieuse n’arrêterait pas ma marche ; car alors, en dépit de l’espace, je me transporterais des limites les plus reculées au lieu où tu résides.

Qu’importerait alors que mon pied reposât sur la terre la plus éloignée de toi ? ma pensée agile franchirait la terre et la mer aussi vite qu’elle penserait au lieu souhaité.

Mais hélas ! cette pensée me tue que je ne suis pas fait de pensée pour traverser d’un bond les longs milles qui nous séparent, et qu’au contraire, si lourdement composé de terre et d’eau, je dois attendre dans ma douleur le bon plaisir du temps ;

Ne tirant rien de ces éléments inertes (10) que des larmes pesantes, insigne de ma double servitude.

LXI

Les deux autres éléments, l’air subtil et le feu purifiant, sont avec toi partout où tu résides : le premier, ma pensée ! le second, mon désir ! présents-absents, ils filent d’un mouvement rapide.

Aussi, quand, plus prompt que les autres, ils sont partis vers toi en tendre ambassade d’amour, mon être, formé de quatre éléments, n’en ayant plus que deux, reste mortellement affaissé sous le poids de la mélancolie.