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ROSALINDE.

— Inutiles conseils ! reprit Montanus ; la raison n’apporte aucun remède à celui que la passion rend si obstiné. Quoique Phébé aime Ganimède, Montanus n’honorera jamais d’autre que Phébé.

— Mais, dit Ganimède, que puis-je faire pour t’être agréable ? Veux-tu que je dédaigne Phébé, comme elle te dédaigne ?

— Ah ! répondit Montanus, ce serait renouveler mes chagrins et doubler mes souffrances : car la vue de sa douleur serait mon arrêt de mort. Hélas ! Ganimède, quoique je dépérisse dans ma passion, ne la laissé pas succomber dans ses désirs. Puisqu’elle t’aime si chèrement, ne la tue pas de tes dédains. Sois le mignon de cette incomparable : elle a assez de beauté pour te plaire et assez de troupeaux pour t’enrichir. Tu ne peux rien désirer de plus que ce que tu obtiendras en la possédant, car elle est belle, vertueuse et riche, — trois stimulants puissants à rendre l’amour joyeux. Il me suffira de la voir contente et de rassasier mes regards de son bonheur. Si elle se marie, quoique ce soit pour moi un martyre, je le supporterai patiemment pourvu qu’elle soit satisfaite, et je bénirai mon étoile en voyant ses désirs exaucés.

Montanus prononça ces paroles avec une contenance si assurée qu’Aliéna et Ganimède furent stupéfaites de sa résignation : pleines de pitié pour ses souffrances, elles cherchèrent par quel habile moyen elles pourraient obtenir pour Montanus la faveur de Phébé.

— Montanus, s’écria enfin Ganimède, puisque Phébé est dans une telle détresse, je craindrais d’être accusé de cruauté en n’allant pas saluer une si belle créature : j’irai donc avec toi voir Phébé pour l’entendre répéter de vive voix ce qu’elle m’a déclaré par écrit, et alors je prononcerai mon arrêt, au gré de ma sympathie… Je pas-