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INTRODUCTION.

ses ressentiments et faire prendre patience à sa détresse. De tout temps le peuple a eu trois mois de misère au service de la République. Les plébéiens viennent d’être complètement pacifiés par la fable de Ménénius, quand apparaît Marcius, le mépris dans le regard, l’insulte sur les lèvres. Ces furieux qui naguère voulaient assommer sous leurs bâtons l’arrogant patricien, se laissent maintenant outrager par lui sans mot dire. Marcius peut impunément les traiter de galeux, de couards, de gibier de potence. « Manants, vous prétendez que le blé ne manque pas… Ah ! si la noblesse mettait de côté ses scrupules et me laissait tirer le glaive, je ferais de vous une hécatombe de cadavres aussi haute que ma lance ! » En vain Marcius provoque de son épée la forêt de piques qui l’environne : les piques ne bougent pas. En vain irrite-t-il de ses bravades odieuses toutes ces rancunes ameutées autour de lui : la parole d’un rhéteur les tient à ses pieds muselées.

Caïus est impitoyable : il accumule injure sur injure. Il proteste avec indignation contre la faiblesse du sénat qui vient de donner raison à la révolte en concédant au peuple l’institution du tribunat. « Désormais les manants auront cinq tribuns de leur choix pour soutenir leur politique vulgaire. Ils ont nommé Junius Brutus ; Sicinius Velutus en est un autre : le reste m’est inconnu. Sangdieu ! la populace aurait démoli toutes les maisons de Rome avant d’obtenir cela de moi. » Heureusement pour la patience du peuple, un message important fait diversion à l’insolence de Marcius : les Volsques ont pris les armes. Caïus salue d’un cri de joie cet événement « qui va purger Rome d’un superflu infect. » À défaut de l’épée patricienne, le fer des Volsques immolera les plébéiens. C’est sur le champ de bataille que Marcius compte vaincre l’émeute aujourd’hui triomphante. Cette guerre, entreprise pour le salut du peuple, il compte la faire servir à la perte du peuple.