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LE ROI LEAR.

SCÈNE XI.
[Une bruyère.]
Il fait nuit. La tempête continue. Entrent Lear et le fou.
lear.

— Vents, soufflez à crever vos joues ! faites rage ! soufflez ! — Cataractes et ouragans, dégorgez-vous — jusqu’à ce que vous ayez submergé nos clochers et noyé leurs coqs ! — Vous, éclairs sulfureux, actifs comme l’idée, — avant-coureurs de la foudre qui fend les chênes, — venez roussir ma tête blanche ! Et toi, tonnerre exterminateur, — écrase le globe massif du monde, — brise les moules de la nature et détruis en un instant tous les germes — qui font l’ingrate humanité. —

le fou.

Ô m’n oncle, de l’eau bénite de cour dans une maison bien sèche vaudrait mieux que cette pluie en plein air. Rentre, bon oncle, et demande la charité à tes filles. Voilà une nuit qui n’épargne ni sages ni fous.

Coups de foudre.
lear, les yeux au ciel.

— Gronde de toutes tes entrailles !… Crache, flamme, jaillis, pluie ! — Pluie, vent, foudre, flamme, vous n’êtes point mes filles : — ô vous, éléments, je ne vous taxe pas d’ingratitude ! — jamais je ne vous ai donné de royaume, je ne vous ai appelés mes enfants ! — vous ne me devez pas obéissance ! laissez donc tomber sur moi — l’horreur à plaisir : me voici votre souffre-douleur, pauvre vieillard infirme, débile et méprisé… — Mais non… je vous déclare serviles ministres, — vous qui, ligués avec deux filles perfides, — lancez les légions d’en haut contre une tête — si vieille et si blanche ! Oh ! oh ! c’est affreux. —