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LA FAMILLE.

mais Volumnie le prévient en se jetant elle-même aux pieds de son fils.

— Oh ! reste debout, s’écrie-t-elle, tandis que sur ce dur coussin de cailloux je me prosterne devant toi, et que, par cette preuve inouïe de respect, je bouleverse la hiérarchie entre l’enfant et la mère.

— Que vois-je ? vous à genoux devant moi, devant ce fils que vous corrigiez ! Alors, que les galets de la plage affamée aillent lapider les astres ! que les vents mutinés lancent les cèdres altiers contre l’ardent soleil ! Vous égorgez l’impossible en rendant possible ce qui ne peut être.

Volumnie se redresse, mais c’est pour présenter à Marcius son petit enfant : — Voici un pauvre abrégé de vous-même qui, développé par l’avenir, pourra devenir un autre vous-même… À genoux, garnement !

— Voilà bien mon bel enfant, dit Coriolan, en serrant son jeune fils contre son cœur avec la tendresse ineffable d’Hector étreignant Astyanax.

Cependant, la figure radieuse de Marcius s’assombrit tout à coup. Au milieu de ses effusions paternelles, il s’est rappelé le terrible engagement qui le lie : il a juré d’anéantir Rome ! En ce moment toute l’armée volsque a les yeux fixés sur lui et considère cet étrange attendrissement avec une menaçante inquiétude. Coriolan fait un effort suprême : il rappelle à lui toute son énergie, tout son sang-froid, toute son impassibilité. Il s’arrache au groupe de famille qui croyait l’avoir reconquis, rend l’enfant à la mère, et se rassoit, pâle et farouche, sur sa chaise de bronze. Ce n’est plus le Romain qui parle, c’est le général des Volsques :

— Aufidius et vous, Volsques, soyez témoins : car nous ne devons rien écouter de Rome en secret.

Puis, s’adressant à Volumnie d’une voix impérieuse : « Que demandez-vous ? » Volumnie ne se laisse pas décon-