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NOTES.

pour celui qu’il était, quand on le verrait en cet habit, et comme dit Homère d’Ulysse,

Ainsi entra en ville d’ennemis.

Il était jà sur le soir quand il y arriva, et y eut plusieurs gens qui le rencontrèrent par les rues, mais personne ne le reconnut.

Ainsi s’en alla-t-il droit à la maison de Tullus, là où de prime-saut il entra jusques au foyer, et illec s’assit sans dire mot à personne, ayant le visage couvert et la tête affublée : de quoi ceux de la maison furent bien ébahis, et néanmoins ne l’osèrent faire lever : car encore qu’il se cachât, si reconnaissait-on ne sais quoi de dignité en sa contenance et en son silence et s’en allèrent dire à Tullus, qui soupait, cette étrange façon de faire. Tullus se leva incontinent de table et s’en allant devers lui, lui demanda qui il était et quelle chose il demandait. Alors Martius se déboucha et, après avoir demeuré un peu de temps sans répondre, lui dit :

— « Si tu ne me connais point encore, Tullus, et ne crois point à me voir que je sois celui que je suis, il est force que je me décèle et me découvre moi-même. Je suis Caïus Martius qui ai fait, et à toi en particulier, et à tous les Volsques en général, beaucoup de maux, lesquels je ne puis nier pour le surnom de Coriolanus que j’en porte : car je n’ai recueilli autre fruit ni autre récompense de tant de travaux, que j’ai endurés, ni de tant de dangers, auxquels je me suis exposé, que ce surnom, lequel témoigne la malveillance que vous devez avoir encontre moi : il ne m’est demeuré que cela seulement. Tout le reste m’a été ôté par l’envie et l’outrage du peuple romain et par la lâcheté de la noblesse et des magistrats qui m’ont abandonné et m’ont souffert de chasser en exil, de manière que j’ai été contraint de recourir comme humble suppliant à ton foyer, non jà pour sauver et assurer ma vie : car je ne me fusse point hasardé de venir ici si j’eusse eu peur de mourir : mais pour le désir que j’ai de me venger de ceux qui m’ont ainsi chassé, ce que je commence déjà à faire en mettant ma personne en-