— T’ai-je jamais élevé au-dessus du rang — qu’avaient occupé tous tes ancêtres ?
— Je ne l’ai jamais désiré ; mais grâce à votre faveur, — j’ai pu garder mon rang en toute quiétude,
— T’ai-je jamais donné un traitement pour augmenter — les revenus que t’avait laissés ton père ?
— J’avais assez, sire, et dès lors, — qu’aviez-vous besoin de me donner davantage ?
— Ah ! me suis-je jamais dépossédé pour toi ? — T’ai-je jamais donné de mon plein gré la moitié de mon royaume ?
— Hélas ! sire, il n’y avait pas de raison — pour que vous eussiez l’idée de me faire ce cadeau.
— Non, si tu raisonnes, tais-toi ; — car je puis te réfuter par une bonne raison. — Si celles qui, selon les lois sacrées de la nature, — me doivent le tribut de leur existence, — si celles pour qui j’ai toujours été d’une bonté et d’une générosité incomparables, — si celles pour qui je me suis ruiné, — pour qui j’ai réduit mes vieux ans à cette détresse extrême, — me rejettent à présent et me dédaignent, me méprisent et m’abhorrent, — quelle raison as-tu de compatir à mes malheurs ?
— À défaut de raisons, que les larmes ratifient mon dévouement, — et disent combien vos douleurs me touchent ! — Ah ! mon bon Seigneur, ne condamnez pas toutes vos filles pour la faute d’une seule : — vous en avez deux encore qui, j’en suis sûr, — vous feront le meilleur accueil, s’il vous plaît d’aller à elles.
— Oh ! combien tes paroles ajoutent à mon chagrin, — en me rappelant mon injustice envers Cordella ! — Je l’ai dépossédée sans raison, — à la cruelle suggestion de ses sœurs. — Et c’est, je le crois, pour m’en punir que l’arrêt du malheur — m’a frappé : je ne l’ai que trop mérité. — J’ai toujours été bon pour Ragane, — et je lui ai donné la moitié de ce que j’avais ; — cependant il se pourrait, si j’allais chez elle, — qu’elle fût bonne pour moi et qu’elle me traitât bien.