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INTRODUCTION.

ducs de Normandie pouvaient désormais réclamer le pas sur leurs puissants voisins. Que prétendaient les rois de France ? Descendre de Francion, fils de Priam. Que prétendaient les rois d’Écosse ? Descendre de Scota, fille de Pharaon. Les ducs de Normandie pouvaient revendiquer une majesté plus haute, car, ainsi qu’en faisait foi la chronique bretonne, ils portaient au front la couronne homérique léguée au prince troyen par Vénus, son aïeule !

Aussi tout fut mis en œuvre pour augmenter l’éclat d’une découverte si favorable à l’ambition et à la vanité des fils de Rollon. Que les annales armoricaines eussent été traduites en latin par Geoffroy de Monmouth, c’était quelque chose, mais ce n’était pas assez. Au douzième siècle, en effet, le latin avait cessé d’être d’un usage général comme au temps des Capitulaires : ce n’était plus guère qu’un idiome savant avec lequel les clercs seuls étaient familiers. De la fusion des races du Nord avec les races du Midi avait surgi une langue nouvelle, la langue d’Oil, qui était alors universellement comprise. C’était cette langue, sœur jumelle de la langue d’Oc et mère de la langue française, qu’avaient adoptée la cour de France et, après elle, la cour de Normandie. C’était cette langue que les barons normands, émigrés au delà de la Manche, parlaient déjà dans tous les manoirs de la Grande-Bretagne, à l’imitation de leurs cousins du continent. Pour que la chronique récemment exhumée reçût sa consécration définitive, il était donc nécessaire qu’elle fût traduite dans la langue moderne, et, pour qu’elle se fixât à jamais dans la mémoire de tous, il fallait qu’elle fût traduite, non plus en prose, mais en vers. Mais où trouver le poëte indispensable à cette épopée nouvelle ? Quel serait le Virgile de cette seconde Enéide ?

Il y avait quelque part en Basse-Normandie un trouvère, appelé Wace ou Eustache, dont on disait merveilles.