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INTRODUCTION.

triomphalement sur la scène sanglante. Derrière lui, entre deux haies de bandits, Lear et sa fille marchent enchaînés. Cordélia a déjà la voix presque divine du martyre :

— Vois-tu, dit-elle au vieillard, nous ne sommes pas les premiers qui, avec la meilleure intention, aient encouru malheur. C’est pour toi, roi opprimé, que je m’afflige : seule j’affronterais aisément les affronts du destin. Est-ce que nous ne verrons pas ces filles et ces sœurs ?

— Non, non, non, non ! Viens, allons en prison : tous deux ensemble nous chanterons comme des oiseaux en cage. Quand tu me demanderas ma bénédiction, je me mettrai à genoux et je te demanderai pardon. Ainsi nous passerons la vie à prier et à chanter, et à conter de vieux contes, et à rire aux papillons dorés !…

Un homme à mine sinistre accompagne jusqu’à leur prison le vieux roi et sa fille. Que vont devenir les captifs ? Les chefs de l’armée victorieuse ne sont pas d’accord : Edmond veut se défaire d’eux, mais le duc d’Albany veut les sauver. Qui l’emportera des deux capitaines ? Les événements que le poëte accumule sous nos yeux prolongent notre anxiété. — Le duc, prévenu par un avertissement mystérieux, fait arrêter Edmond qui, complice de la duchesse, sa femme, méditait de l’assassiner. Goneril, ainsi démasquée, se poignarde après avoir empoisonné Régane, sa rivale. Edmond, amant incestueux des deux sœurs, est provoqué en duel et frappé à mort par son frère Edgar, Mais, avant d’expirer, le bâtard repentant révèle qu’il a donné l’ordre d’égorger les captifs. Sur-le-champ un contre-ordre est envoyé. Arrivera-t-il à temps ?

Hélas ! Reconnaissez-vous cette voix désespérée qui retentit au fond du théâtre ? C’est bien celle du roi Lear. Le vieillard accourt portant dans ses bras Cordélia étranglée.

— Hurlez ! hurlez ! hurlez !… Oh ! vous êtes des hommes de pierre. Si j’avais vos langues et vos yeux, je m’en