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CORIOLAN.

ménénius.

— Quoi ! mes maîtres, mes bons amis, mes honnêtes voisins, — vous voulez donc votre ruine ! —

deuxième citoyen.

C’est impossible, monsieur : nous sommes déjà ruinés.

ménénius.

— Amis, croyez-moi, les patriciens ont pour vous — la plus charitable sollicitude. Pour vos besoins, — pour vos souffrances au milieu de cette disette, autant vaudrait frapper — le ciel de vos bâtons que les lever — contre le gouvernement romain : il poursuivra — sa course en broyant dix mille freins — plus solides que celui que vous pourrez jamais — vraisemblablement lui opposer. Quant à la disette, — ce ne sont pas les patriciens, ce sont les dieux qui la font ; et près — d’eux vos genoux vous serviront mieux que vos bras. Hélas ! — vous êtes entraînés par la calamité — à une calamité plus grande. Vous calomniez — les nautoniers de l’État : ils veillent sur vous en pères, — et vous les maudissez comme des ennemis ! —

deuxième citoyen.

Eux, veiller sur nous !… Oui, vraiment !… Ils n’ont jamais veillé sur nous. Ils nous laissent mourir de faim, quand leurs magasins regorgent de grain (2), font des édits en faveur de l’usure pour soutenir les usuriers (3), rappellent chaque jour quelque acte salutaire établi contre les riches, et promulguent des statuts chaque jour plus vexatoires pour enchaîner et opprimer le pauvre ! Si les guerres ne nous dévorent, ce seront eux ; et voilà tout l’amour qu’ils nous portent !

ménénius.

— De deux choses l’une : — ne vous défendez pas d’une étrange malveillance, — ou laissez-vous accuser de folie. Je vais vous conter — une jolie fable ; il se peut que