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HENRY VI.

à l’heure il est venu entonner le chant du corbeau, — croassement terrible qui a paralysé mes forces vitales ; — et il croit qu’un ramage de roitelet, — ce cri de consolation échappé d’un cœur vide, — peut dissiper le retentissement de ses premiers accents ! — Ne cache pas ton poison sous ces mielleuses paroles… — Ne mets pas tes mains sur moi ; éloigne-toi, te dis-je ; — leur contact m’effraie comme le dard d’un serpent. — Sinistre messager, hors de ma vue ! — Dans tes prunelles la tyrannie meurtrière — siége, majesté hideuse, pour l’épouvante de ton monde. — Ne me regarde pas, car tes yeux me blessent… — Pourtant ne t’en va pas… Approche, basilic, — et tue du regard l’innocent qui te contemple, — car c’est à l’ombre de la mort que je trouverai la joie ! — La vie n’est pour moi qu’une double mort, depuis que Glocester est mort.

la reine marguerite.

— Pourquoi injuriez-vous ainsi milord de Suffolk ? — Quoique le duc fût son ennemi, — pourtant il déplore fort chrétiennement sa mort ; — et quant à moi, quelque hostile qu’il me fût, — si des larmes à flot, si des sanglots à fendre le cœur, — si des soupirs à tarir le sang pouvaient le rendre à la vie, — je me rendrais aveugle à force de pleurer, malade à force de sangloter, — pâle comme la primevère à force de soupirer, — uniquement pour faire revivre le noble duc ! — Qui sait ce que le monde pourra penser de moi ? — Car il est connu que nous étions de médiocres amis, — et l’on pourra croire que j’ai fait disparaître le duc. — Ainsi mon nom sera blessé par la langue de la calomnie, — et les cours des princes retentiront de mon déshonneur. — Voilà ce que je gagne à sa mort. Malheureuse que je suis — d’être reine et couronnée d’infamie.

le roi henry.

— Ah ! pauvre Glocester ! le malheureux !