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HENRY VI.

et debout sur le sommet d’une montagne — où l’âpreté du froid ne permettrait pas à l’herbe de pousser, — et ce ne serait pour moi que le jeu d’une minute !

la reine marguerite.

— Oh ! je t’en supplie, cesse ! Donne-moi ta main, — que je l’arrose de mes larmes douloureuses. — Et ne laisse pas la pluie du ciel mouiller cette place, — et y effacer les monuments de mon affliction.

Elle lui baise la main.

— Oh ! puissent mes baisers s’imprimer sur ta main, — que leur sceau te fasse songer à ces lèvres — d’où les soupirs s’exhalent par milliers pour toi ! — Maintenant pars, que je connaisse mon malheur ; — je ne fais que le soupçonner, tant que tu es près de moi, — pareille à quelqu’un qui dans l’abondauce songerait à la privation. — J’obtiendrai ton rappel, ou, sois-en sûr, — je m’exposerai à être bannie moi-même. — Je suis déjà bannie, si je le suis de toi. — Va, ne me parle plus ; pars tout de suite… — Oh ! non, pas encore ! Ainsi deux amis condamnés, — s’embrassent et se baisent, et se disent dix mille adieux, — cent fois moins disposés à se séparer qu’à mourir. — Pourtant adieu ! et adieu la vie avec toi !

suffolk.

— Ainsi le pauvre Suffolk est dix fois banni, — une fois par le roi et neuf fois par toi. — Peu m’importerait ce pays, si tu n’y étais plus. — Un désert serait assez peuplé, — si Suffolk y avait ta céleste compagnie ; — car là où tu es, est le monde — avec tous les plaisirs du monde ; — et là où tu n’es pas, est la désolation. — Je n’en puis plus… Toi, vis pour vivre en joie ; — pour moi, l’unique joie, ce sera que tu vives.

Entre Vaux.
la reine marguerite.

— Vaux, où vas-tu si vite ? quelles nouvelles, je te prie ?