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INTRODUCTION.

De qui était ce drame en deux parties, revisé par Shakespeare ? Ici les opinions varient, et la critique se divise. Suivant la conjecture de Malone, appuyée par M. Hallam, il devait être de Marlowe ; selon M. Collier, il devait être de Greene. Cette dernière hypothèse me semble de beaucoup la plus plausible. Dans ce qui nous est parvenu du drame primitif, il m’est impossible de reconnaître le style grandiloque et outré qui caractérise le talent de Marlowe ; j’y retrouve, en revanche, cette platitude pédantesque, cette poésie prosaïquement érudite, qui distingue la manière de Greene. À l’appui de cette opinion. M. Collier signale un détail digne d’être noté. Dans le texte primitif, tel que nous l’a transmis partiellement l’édition de 1595, il est question d’un certain Abradas, pirate macédonien. Dans le texte revisé, publié en 1623, cet Abradas est remplacé décidément par Bargulus, le célèbre pirate illyrien. Or, cet Abradas, ainsi mis de côté par la révision, était un être imaginaire que Greene avait fait intervenir pour la première fois dans un de ses ouvrages, la Toile de Pénélope. Si Greene, comme je le crois avec M. Collier, était l’auteur du Henry VI primitif, il était tout simple qu’il rappelât dans cette œuvre un personnage de sa création ; et peut-être la substitution de Bargulus à Abradas, faite si cavalièrement par Shakespeare, n’a-t-elle pas été un des moindres griefs conçus par Greene contre son illustre correcteur. Blessé dans son amour-propre d’auteur par cette révision outrecuidante, Greene devait être tenté de riposter par quelque violente invective. Au surplus, n’était-ce pas chose amère pour ce vétéran du théâtre anglais de voir ses brouillons mis au net par un novice ? Et, pour peu que le drame ainsi corrigé eût réussi, ne devait-il pas se croire fondé à revendiquer pour lui le succès obtenu, et à dénoncer comme un indigne plagiaire cet intrus qui, en refaisant son œuvre,