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LA PATRIE.

que le sien, qui jamais n’a élevé contre son mari ni un reproche ni un murmure, va être frappée — par qui ? Par son mari ! Elle va recevoir le coup fatal de la main qu’elle adore et qu’elle bénit. Mère, elle sera séparée de son enfant par le père de son enfant. Épouse, elle va être par son époux chassée du lit nuptial : sur un ordre du tyran, cette auguste vertu, devant qui l’univers s’incline, va être traduite en jugement et traînée à la barre ; et, — injure suprême, — on la sommera de s’expliquer publiquement, de se justifier, et de prouver qu’elle n’est pas incestueuse ! — Pourtant il y a des humiliations qui révoltent l’âme la plus résignée. Catherine, jusqu’alors si soumise à son seigneur, trouve dans sa dignité même d’épouse la force de la résistance. Sommée de comparaître devant la cour de Blackfriars, elle récuse ses juges et dédaigne fièrement de leur répondre. Elle ne consent pas à s’avouer coupable, à condamner son amour, à diffamer son honneur. La sommation publique ayant échoué, reste la contrainte secrète. Deux princes de l’Église, les cardinaux Wolsey et Campeius, sont chargés par le roi de se rendre auprès de la reine et de lui arracher le consentement nécessaire au divorce. Alors a lieu une scène terrible, une véritable scène d’inquisition, — scène historique que Shakespeare a développée magnifiquement.

Gavendish raconte brièvement dans ses mémoires cette sombre entrevue dont il fut partiellement témoin[1]. Les deux cardinaux se présentèrent chez la reine, au palais de Bridewell, et firent antichambre un instant dans les grands appartements. La reine, qui était occupée à travailler avec ses femmes dans ses petits appartements, se présenta, ayant autour du cou un écheveau de fil blanc,

  1. Voir ce récit à l’appendice.