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LA PATRIE.

Toutes les magnificences de la vanité terrestre, parures somptueuses, manteaux de velours, robes de brocard, simarres éclatantes, colliers de diamants, diadèmes de pierreries, masses et verges d’argent, crosses d’or, sceptres d’or, couronnes d’or de toute forme, couronnes de comtes, couronnes de marquis, couronnes de ducs, couronne de roi, ondulent avec ce flot vivant. L’aristocratie anglaise, représentée par ses chefs les plus illustres, escorte solennellement cette parvenue qu’un caprice de despote a fait brusquement passer de l’antichambre à l’alcôve royale, Devant elle, le duc de Suffolk porte la baguette de grand sénéchal, et le duc de Norfolk le bâton de maréchal ; au-dessus d’elle, quatre barons des cinq ports élèvent un dais majestueux ; près d’elle, de chaque côté, deux évêques marchent, mitre inclinée ; derrière elle, soutenant humblement la queue de sa robe, se traîne la douairière de la noblesse britannique, la vénérable duchesse de Norfolk. Et partout où elle passe, le peuple, que ses gardes repoussent insolemment loin d’elle, la salue de ses acclamations.

Mais à peine la procession a-t-elle défilé, à peine la multitude a-t-elle jeté son dernier hourrah, que le poëte, obstinément fidèle au malheur, nous transporte dans le manoir sinistre où Henry VIII a exilé sa première femme. Quel contraste entre les deux tableaux ! Là-bas, devant le portail de Westminster, le bruit, le fracas, les fanfares, les musiques, les cris de joie, les acclamations frénétiques, les entassements de foule, les cohues ivres et folles ; ici, à Kimbolton, la solitude, le silence, la désolation. Catherine d’Aragon se présente à nous, accablée par la sentence qui vient de la frapper : elle n’est plus reine, elle n’est plus épouse, elle n’est plus que la veuve du prince Arthur ! L’auguste répudiée marche d’un pas chancelant, soutenue par deux des rares serviteurs qui