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SCÈNE I.

pauvre femme fut délivrée — d’un fardeau pareil, deux garçons parfaitement semblables ; — leurs parents étant dans une indigence extrême, — j’achetai ces enfants, et les élevai pour les mettre au service des miens. — Ma femme, qui n’était pas peu fière de ses deux fils, — insistait chaque jour pour notre retour à Syracuse. — J’y consentis à regret ; trop tôt, hélas ! Nous nous embarquâmes. — Partis d’Épidamnum, nous avions fait une lieue, — avant que la mer toujours obéissante au vent — nous fît pressentir aucun malheur tragique, — mais nous ne gardâmes pas plus longtemps notre espoir ; — car bientôt le peu de lumière que nous accordait le ciel — ne fît que révéler à nos esprits épouvantés — l’alarmante certitude d’une mort immédiate. — Pour moi, je l’eusse accueillie volontiers ; — mais les incessantes lamentations de ma femme, — d’avance éplorée de ce qui lui paraissait inévitable, — mais les plaintes touchantes de ces jolis enfants — qui pleuraient par instinct, ne sachant que craindre, — firent que je cherchai à reculer l’instant fatal pour eux et pour moi. — Voici le moyen que j’employai, à défaut d’autre. — Les matelots avaient cherché leur salut dans la chaloupe, — et nous avaient abandonné le vaisseau prêt à couler. — Ma femme, plus occupée de son dernier-né, — l’attacha à un de ces petits mâts de rechange — que les marins réservent pour les tempêtes ; — avec lui, elle lia un des deux autres jumeaux, — tandis que moi, je m’occupais pareillement du couple restant. — Les enfants ainsi placés, ma femme et moi, — sans perdre des yeux ceux que nous devions surveiller, — nous nous attachâmes aux deux extrémités du mât ; — et, flottant aussitôt à la merci du courant, — nous fûmes emportés, à ce qu’il nous sembla, dans la direction de Corinthe. — Enfin le soleil, dardant sur la terre, — dispersa les brumes qui nous acca-