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SCÈNE VI.

faux, — quand le doux souffle de la flatterie peut maîtriser la discorde.

antipholus de syracuse.

— Chère dame (car je ne sais quel autre nom vous donner, — et par quel prodige vous avez deviné le mien), — vos lumières et vos grâces font de vous — la merveille de la terre, une créature divine, plus que terrestre ! — Apprenez-moi, chère, ce que je dois penser et dire ; — dévoilez à mon grossier entendement terrestre, — étouffé sous l’erreur, faible, superficiel, chétif, — le sens caché de vos décevantes paroles. — Pourquoi, en dépit de sa pure loyauté, vous efforcez-vous — d’égarer mon âme dans une région inconnue ? — Êtes-vous un dieu ? Prétendez-vous me créer à nouveau ? — Alors transformez-moi, et je céderai à votre puissance. — Mais, si je suis ce que je suis, je suis bien sûr — que votre sœur éplorée n’est pas ma femme, — et que je ne dois pas hommage à son lit. — Bien plus, bien plus, je me sens entraîné vers vous. — Oh ! ne m’attire pas par tes chants, suave sirène, — pour me noyer dans le flot des larmes de ta sœur : — chante, sirène, mais pour toi-même, et je raffolerai ; — étends sur les vagues d’argent ta chevelure d’or, — et je ferai d’elle mon lit, et je m’y coucherai ; — et, dans ce glorieux rêve, je regarderai — comme un bien de pouvoir mourir ainsi. — Que mon idéal amour soit noyé s’il s’y abîme !

luciana.

— Êtes-vous fou de raisonner ainsi ?

antipholus de syracuse.

— Je ne suis pas fou, mais aveuglé, je ne sais pas comment.

luciana.

— C’est la faute de vos yeux.