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LES FARCES.

visite de ce bon chevalier, il va lui prêter mille livres sur parole ; si bien disposé pour Falstaff, il ne peut certainement pas avoir déjà contre lui ce gros grief du daim tué pour lequel il veut porter plainte devant la chambre étoilée. En méditant sur son œuvre, Shakespeare vit les contradictions choquantes que lui imposait la date originairement fixée par lui ; dès lors il se ravisa, et résolut de placer définitivement l’aventure de Windsor, non plus avant, mais après le couronnement de Henry V.

Nul doute que le poëte, en revisant sa comédie, n’ait tenu à marquer ce changement d’époque. Nous ne retrouvons plus dans l’ouvrage remanié, tel qu’il fut imprimé en 1623, l’exclamation de Falstaff croyant entendre le cor du prince de Galles chassant sur les terres de son père. Non content de cette rature, l’auteur indique par des détails nouveaux que la comédie prend décidément place entre la seconde partie de Henry IV et Henry V, dans la période indéterminée qui commence à la disgrâce de Falstaff et finit à sa mort. Ainsi, l’amoureux d’Anne Page, Fenton, présenté comme un ancien compagnon du prince de Galles et de Poins, parle comme d’un souvenir déjà lointain de ses extravagances passées, my riots past : ce qui nous donne à entendre que la folle bande patronnée par Hall est déjà licenciée. Les personnages que nous avons vus dans Henry IV ont évidemment vieilli quand ils reparaissent à Windsor. Falstaff, qui n’avait guère plus de soixante ans dans Henry IV, et que le prince de Galles appelait son été de la Saint-Martin, est dénoncé par mistress Page comme un vieillard glacé et flétri, old, cold, withered, comme un homme presque mis en pièces par l’âge, one that is very nigh worn to pieces by age. Le juge Shallow, qui, dans Henry IV, se rappelle avoir été étudiant cinquante-cinq ans auparavant, se dit ici plus qu’octogénaire : « J’ai vécu, dit-il,