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INTRODUCTION.

lard profondément amoureux et son désespoir final n’en laissent pas moins une impression pénible sur l’esprit du spectateur. Molière ici n’a pu éviter un effet fâcheux que Shakespeare a supérieurement prévenu. Moins comique dans son essence que l’œuvre de Shakespeare, l’œuvre de Molière est moins comique aussi dans son développement. Ainsi que Gué, sous un faux nom, est le confident de Falstaff, Arnolphe, sous un nom d’emprunt, est le confident d’Horace ; mais les péripéties bouffonnes qui résultent des révélations faites par le galant au jaloux, péripéties que Shakespare a largement mises en scène, sont systématiquement tenues dans l’ombre par Molière et reléguées au récit. C’est par les froides narrations d’Horace que nous sont successivement révélées toutes les épreuves auxquelles le soumet la jalousie de monsieur de la Souche :

Mais à peine tous deux dans la chambre étions-nous.
Qu’elle a sur les degrés entendu son jaloux ;
Et tout ce qu’elle a pu, dans un tel accessoire,
C’est de me renfermer dans une grande armoire.
Il est entré d’abord, je ne le voyais pas ;
Mais je l’oyais marcher, sans rien dire, à grands pas,
Poussant de temps en temps des soupirs pitoyables,
Et donnant quelquefois de grands coups sur les tables,
Frappant un petit chien qui pour lui s’émouvait,
Et jetant brusquement les hardes qu’il trouvait.

Ce que Molière nous cache là, est justement ce que Shakespeare aime à nous montrer. Shakespeare veut que nous soyons témoins de l’amusante scène récitée par Molière ; il veut que nous assistions aux perquisitions si divertissantes du jaloux ; il tient à ce que nous voyions ces hardes jetées si brusquement, et, en dépit du qu’en-dira-t-on, il sème complaisamment sur la scène le linge sale que le jaloux arrache pièce à pièce du panier à lessive. Les péripéties grotesques, qui passent inaperçues