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APPENDICE.

Gérard Lanzetti, grand ami d’Ambroise, lequel étant seul après le décès de sa femme, se fâchait de coucher sans compagnie, comme celui qui sentait un grand refroidissement à cause de sa vieillesse, lui étant âgé pour le moins de quelque soixante ans, ou environ. Ce vieux satyre voyant l’excellente beauté de Nicole, fille de Nanni, se vit surpris d’amour, et sentit éveiller en soi les appétits jà amortis de la sensualité, ayant plus de désirs que d’effet, et les yeux plus gros et gloutons que n’étaient fortes les parties plus nécessaires. Et en cela on connaît l’imperfection du jugement de ceux qui aiment, et la corruption que nature a semée en nous. Si ce n’est qu’on veuille dire que toute chose tend à la participation du beau, lequel est proposé pour le contentement de l’esprit, et pour parfaire ce qui reste de la perfection de nos âmes, vu que l’enfance plus tendre, et l’adolescence, et l’âge mûr, et la vieillesse jà cassée et caduque, sont chatouillés de ce démangement les uns avec plus, les autres avec moins de véhémence, selon que les affections les transportent. Aveuglé que fut ainsi ce vieillard, il s’enhardit de demander cette fille en mariage au père, lequel s’ébahissant de telle requête, vu le peu de convenance des âges, et le tort qu’on fait à une fille si jeune de l’apparier si peu selon sa gaillardise, ne voulut refuser du tout le parti, ni l’accorder aussi, mais délayant la réponse, le pria l’excuser s’il ne lui faisait largesse du sien ainsi qu’il désirait et voudrait : car il ne prétendait pourvoir sa fille qu’il ne fût assuré si son fils vivait, ou était trépassé en quelque terre étrange, vu que, depuis le sac de Rome, il n’en avait rien su entendre, de quoi il vivait en une extrême détresse. Étant ainsi renommée l’insigne beauté de cette fille, et admirée de chacun sa gentillesse et sa bonne grâce, advint qu’un jeune homme de sa cité, nommé Lactance Puccin, enfant de grandes richesses,