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INTRODUCTION.

chesse. Pendant que ce couple se livre à la joie, madame Julina se désespère : elle est perdue, déshonorée, si son séducteur ne revient pas. Heureusement le mariage du duc Apollonius et de la fille du duc de Chypre est destiné à faire grand tapage ; le bruit d’un événement si merveilleux se répand jusqu’aux extrémités de la Grèce ; Silvio apprend ainsi par la rumeur publique que sa sœur est retrouvée et mariée au plus grand personnage de Constantinople ; il accourt, et Julina voit reparaître ainsi le père de son enfant, qu’elle se dépêche d’épouser.

Telle est la donnée rudimentaire sur laquelle Shakespeare a enté et fait épanouir le plus suave et le plus exquis des poëmes. Avant de transporter cette fable sauvage sur son théâtre, l’auteur anglais a commencé par en élaguer tous les développements grossièrement choquants. Rien ne démontre mieux la délicatesse suprême de ce génie que la comparaison entre Ce que vous voudrez et les précédents récits. En vain chercheriez-vous dans la comédie du maître ces brutalités de détail, ces crudités de situation que présentent les narrations de Bandello et de Rich. Shakespeare a un tel culte pour la femme qu’il s’ingénie continuellement à la retenir au bord de l’abîme. S’il risque souvent ses héroïnes dans de périlleuses extrémités, c’est presque toujours pour qu’elles en sortent triomphantes. Hermia, Héléna, Julia, Rosalinde, Imogène, échappent victorieusement aux plus scabreuses aventures. Toutes ces blanches chastetés franchissent la boue des passions sans avoir même une éclaboussure à leur hermine. La poétique providence qui a déjà préservé tant de vertus, veille sur les nobles vierges de Ce que vous voudrez ; et, grâce à cette tutélaire sollicitude, la fière Olivia doit échapper à la souillure fatale qui a atteint successivement ses devancières Julina et Catella. —