Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 1.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

est ainsi, il ne peut parler, car la sincérité a pour le faire resplendir des actions meilleures que des paroles.

Entre PANTHINO.

PANTHINO. — Seigneur Protée, on vous attend.

PROTÉE. — Marche, j'y vais, j'y vais. Hélas! la séparation frappe de mutisme les pauvres amants. (Ils sortent.}

SCENE III
Vérone. — Une rue.
Entre LANCE, conduisant un chien.

LANCE. — Vrai, je n'aurai pas fini de pleurer avant une heure ; toute la race des Lance a ce défaut. J'ai reçu ma proportion comme l'enfant prodige, et je vais avec le seigneur Protée à la cour impériale. Je crois que Crab, mon chien, est bien le chien le plus insensible qui existe; ma mère pleurait, mon père se lamentait, ma sœur sanglotait, notre servante hurlait, notre chat se tordait les pattes, et toute notre maison était sens dessus dessous, et ce mâtin, aux entrailles cruelles, n'a pas versé une seule larme. C'est une pierre, un vrai caillou, et qui n'a pas plus de pitié qu'un chien. Un juif aurait pleuré en voyant nos adieux; c'est au point que ma grand'mère, qui n'a pas d'yeux, pleurait, voyez-vous, de notre séparation, à s'en rendre aveugle. Je m'en vais vous montrer la scène. Ce soulier est mon père; — non, c'est le soulier gauche qui est mon père ; — non, non, ce soulier gauche est ma mère;— mais non, cela ne va pas comme ça non plus ; — oui, c'est bien ça, c'est bien ça, — c'est le soulier qui a la plus mauvaise semelle. Donc, ce soulier qui a un trou est ma mère, et l'autre est mon père. C'est cela même, morbleu! Maintenant, Monsieur, ce bâton est ma sœur; car, voyez-vous, elle est aussi blanche qu'un lis et aussi