Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 1.djvu/153

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perds, je me gagne moi-même en échange de Valentin, et en échange de Julia je gagne Silvia. Je me suis plus cher à moi-même qu'un ami, car l'amour de soi est ce qui nous est le plus précieux, et Silvia — j'en prends à témoin le ciel qui l'a faite si belle — réduit Julia à la condition d'Éthiopienne hâlée. J'oublierai que Julia est vivante en me rappelant que mon amour pour elle est mort; et quant à Valentin, je le tiendrai pour ennemi, puisque j'espère retrouver dans Silvia une amitié plus douce que la sienne. Je ne puis être constant envers moi-même sans user de quelque trahison envers Valentin. Cette nuit, il se dispose à escalader, au moyen d'une échelle de corde, la fenêtre de la céleste Silvia, et moi, son rival, qu'il a mis dans le secret, je dois être son auxiliaire. Je m'en vais immédiatement donner avis de leur projet de déguisement et de fuite au père de Silvia, qui, dans sa fureur, bannira Valentin, car il a l'intention de donner sa fille à Thurio ; mais Valentin une fois parti, j'entraverai par quelque adroite ruse les gauches mouvements de ce lourdaud de Thurio. Amour, comme tu m'as prêté ton esprit pour tracer la route de mon dessein, prête-moi tes ailes pour arriver rapidement à son terme. (Il sort.)

SCENE VII
Vérone. — Un appartement dans la maison de Julia.
Entrent JULIA et LUCETTA.

JULIA. — Conseille-moi, Lucetta ; assiste-moi, ma bonne fille; je t'en conjure, par ta plus tendre amitié, toi qui es la tablette où toutes mes pensées sont lisiblement inscrites et gravées, fais-moi la leçon et suggère-moi quelque bon moyen qui me permette avec honneur d'aller rejoindre mon bien-aimé Protée.

LUCETTA. — Hélas ! La route est longue et fatigante.

JULIA. — Un pèlerin vraiment pieux ne se fatigue pas