Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/404

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peut le voir sans l’aimer ; et c’est sur ce vice-là que ma vengeance trouvera une ample occasion de s’exercer.

Messire Tobie. — Que feras-tu ?

Maria. — Je laisserai tomber sur sa route quelques obscures épitres d’amour, où par les descriptions de la couleur de sa barbe, de la forme de sa jambe, de la manière de sa démarche, de l’expression de son œil, de son front et de son teint, il se trouvera très-exactement désigné ; je puis écrire presque comme Madame, votre nièce ; quand on n’y prend pas garde, c’est à peine si l’on peut distinguer nos deux écritures.

Messire Tobie. — Excellent ! je flaire un stratagème. ’

Messire André. — Mon nez le sent aussi.

Messire Tobie. — II croira par les lettres que tu laisseras tomber qu’elles viennent de ma nièce et qu’elle est amoureuse de lui.

Maria. — Mon projet est en effet un cheval de cette couleur.

Messire André. — Et votre cheval voudrait maintenant en faire un âne ?

Maria. — Un âne, je n’en doute pas.

Messire André. — Oh ! cela sera admirable !

Maria. — Un divertissement royal, je vous en réponds ; je sais que ma drogue produira son effet sur lui. Je vous placerai tous deux, et le fou avec vous qui fera le troisième, près de l’endroit où il trouvera la lettre : observez la manière dont il l’interprétera. Pour cette nuit, allez au lit et rêvez à cette aventure. Adieu.

Messire Tobie. — Bonne nuit, Penthésilée.

(Sort Maria.)

Messire André. — Sur ma foi, c’est une brave fille.

Messire Tobie. — Une levrette tout à fait bien dressée et qui m’adore ; que dis-tu de cela ?

Messire André. — Je fus adoré moi aussi autrefois.

Messire Tobie. — Allons au lit, chevalier. 11 faut que tu envoies demander d’autre argent.

Messire André. — Si je ne peux pas conquérir votre nièce, je suis dans un mauvais pas.