Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/406

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Le Duc. — Tu parles en connaisseur : je jurerais sur ma vie, que tout jeune que lu sois, tes yeux se seront arrêtés sur quelque beauté qu’ils aiment. N’est-ce pas vrai, enfant ?

Viola. — Un peu, si vous le permettez.

Le Duc. — Quel genre de femme est-ce ?

Yioia. — De votre complexion.

Le Duc. — Elle n’est pas digne de toi, alors. Quel âge a-t-elle, dis-moi ?

Viola. — Votre âge environ, Monseigneur.

Le Duc. — Trop vieille, par le ciel : la femme doit toujours prendre un homme plus âgé qu’elle ; c’est ainsi qu’elle se l’attache et qu’elle entre de plein pied dans le cœur de son mari ; car, mon enfant, malgré les louanges que nous nous donnons, nos affections sont beaucoup plus capricieuses et instables, beaucoup plus impatientes et flottantes, beaucoup plus tôt perdues et gagnées que celles des femmes.

Viola. — Je le crois aussi, Monseigneur.

Le Duc. — Eh bien alors, que l’objet de ton amour soit plus jeune que toi, si tu veux que ton affection résiste longtemps ; car les femmes sont comme des roses dont le beau calice, une fois déployé, s’effeuille dans l’heure même où il s’ouvre.

Viola. — Oui, c’est ce qu’elles sont : hélas ! pourquoi faut-il qu’elles meurent au moment où elles atteignent la perfection !

Rentre CURIO avec LE BOUFFON.

Le Duc. — Eh camarade, arrive ; —vite la chanson que nous écoutions la nuit dernière. Ecoute la bien, Césario ; elle est antique et simple : les fileuses, les tricoteuses en plein air et les chastes filles qui tissent leur toile avec une navette d’os ont coutume de la chanter ; c’est la candeur même, et elle joue sur cette eorde de l’innocence de l’amour à la manière des âges antiques.

Le Bouffon. — Êtes-vous prêt, Monseigneur ?

Le Duc. — Oui ; chante, je t’en prie. (Musique.)