Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/417

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Le Bouffon. — Vous l’avez dit, Monsieur. Voyez un peu ce siècle ! Une sentence n’est qu’un gant de chevreau pour un bon esprit : avec quelle rapidité, on peut en mettre l’envers à l’endroit.

Viola. — Oui, cela est certain, ceux qui jouent adroitement avec les mots peuvent aisément les rendre libertins.

Le Bouffon. — Alors je voudrais que ma sœur n’eût pas de nom, Monsieur.

Viola. — Pourquoi cela, l’ami ?

Le Bouffon. — Parbleu, Monsieur, son nom n’est qu’un mot, et jouer avec ce mot pourrait rendre ma sœur libertine : mais en vérité les mots sont devenus de vraies canailles, depuis que les promesses qu’ils avaient servi à donner, les ont déshonorés.

Viola. — Ta raison, l’ami ?

Le Bouffon. — Ma foi, Monsieur, je ne puis vous en donner aucune sans me servir de mots, et les mots sont devenus si faux que j’ai répugnance à les employer pour donner mes raisons.

Viola. — Je garantis que tu es un joyeux compère, un vrai sans souci.

Le Bouffon. — Non pas, Monsieur, j’ai souci de quelque chose ; mais en conscience, Monsieur, je n’ai pas souci de vous ; si cela s’appelle n’avoir souci de rien, Monsieur, je voudrais que cela pût vous rendre invisible.

Viola. — N’es-tu pas le fou de Madame Olivia ?

Le Bouffon. — Non, en vérité, Monsieur ; Madame Olivia n’a pas de folie : elle n’aura pas de fou chez elle jusqu’à ce qu’elle soit mariée ; les fous ressemblent aux maris comme les sardines aux harengs ; c’est le mari qui est le plus gros : je ne suis pas son fou, en vérité, je ne suis que son falsificateur de mots.

Viola. — Je t’ai vu récemment chez le duc Orsino.

Le Bouffon. — La folie, Monsieur, fait le tour du monde, comme le soleil ; elle brille partout. Je serais bien fâché, Monsieur, que le fou fût aussi souvent avec votre maître qu’il l’est avec ma maîtresse : je crois que j’ai vu chez lui votre sagesse ?