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ACTE I, SCÈNE II.

SCÈNE II.

Un appartement dans la demeure de CAPULET
Entre JULIETTE.

JULIETTE. — Galopez à pleine course vers le palais de Phoebus, coursiers aux pieds de flamme ; un cocher comme Phaéton vous aurait bien vite poussé, vers l’occident., et nous ramènerait immédiatement la nuit sombre. Étends tes épais rideaux, nuit, prêtresse de l’amour, afin que tout regard errant soit aveugle, et que Roméo puisse sauter dans ces bras, sans qu’on le voie et qu’on en parle. Les amants y voient assez pour accomplir leurs rites amoureux à la lumière de leur propre beauté d’ailleurs, si l’amour est aveugle, il.s’accorde d’autant mieux avec la nuit. Viens, nuit complaisante, matrone aux vêtements sévères, habillée tout de noir, et apprendsmoi comment on s’y prend pour perdre une partie engagée sur une paire de virginités immaculées : caché de ton noir manteau mon sang vierge qui s’effarouche sur mes joues[1] , jusqu’à ce que le timide amour se soit assez enhardi pour regarder l’accomplissement du sincère amour comme un acte de simple pudeur. Viens, nuit ! viens, Roméo ! viens, toi qui seras le jour au sein de la nuit, car tu reposeras sur les ailes de la nuit plus blanc que la neige sur le dos d’un corbeau. Viens, nuit charmante ; viens., aimable nuit au front sombre, donnemoi mon. Roméo : et lorsqu’il mourra, prends-le, et coupe-le en petites étoiles, et il rendra la face du ciel si brillante, que le monde entier s’éprendra de la nuit, et ne rendra plus aucun culte au gai soleil. Oh, ! j’ai, acheté le palais d’un amour, mais je n’en ai pas encore

  1. Hood my unmanned blood bating in my cheeks, mot à mot, encapuchonne mon sang sauvage (non apprivoisé), qui se débat dans mes joués. Juliette emprunte ici ses expressions au vocabulaire de la fauconnerie. Lorsqu’on voulait apprivoiser, humaniser un faucon, on l’enveloppait d’un chaperon dans lequel on le laissait se débattre jusqu’à ce qu’il fût rendu.