Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/127

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demain matin ? Non, non, voici qui s’y opposerait : repose ici, toi4. (Elle pose un poignard à côté d’elle.) Mais si c’était un poison que le frère m’a subtilement remis pour me faire mourir, dans la crainte de -se déshonorer par ce mariage, puisqu’il m’a déjà mariée à Roméo ? Je crains que ce ne soit du poison et cependant, j’en suis sûre, cela ne se peut pas, car il a de tout temps été reconnu pour un saint homme. Je ne veux pas accueillir une aussi mauvaise pensée. Et qu’arrivera-t-il si, lorsque je serai dans la tombe, je me réveille avant l’heure ail Roméo viendra me délivrer ? voilà une possibilité terrible ! Ne serai-je pas alors suffoquée dans le caveau dont la bouche infecte ne livre passage à aucun air salubre, et n’y mourrai-je pas étouffée avant que mon Roméo vienne ? Ou si je vis, n’est-il pas très probable que l’horrible sensation de la mort et de la nuit associée à la terreur dû lieu — ce caveau cet ancien sépulcre, où depuis tant de centaines d’années se sont entassés les os de tous mes ancêtres ensevelis, où le sanglant Tebaldo, encore fraîchement en terre, se putréfie dans son linceul, où, dit-on, les esprits retiennent à certaines heures de la nuit.... hélas, hélas, n’est-il pas probable que me réveillant avant l'heure, au milieu d’odeurs infectes et de cris pareils à ceux de la mandragore arrachée de terre qui font devenir fous les vivants qui les entendent5.... oh ! si je me réveille alors, est-ce que je ne perdrai pas la raison, environnée comme je le serai de toutes ces terreurs hideuses ? Et, alors en proie à la folie, ne serai-je pas capable de jouer avec les ossements de mes pères, d’arracher de son cercueil le sanglant Tebaldo, et au milieu de cette frénésie, me servant de l’os de quelque arrière ancêtre, comme d’une massue, de briser ma tête en délire ? Oh ! est-ce que je rêve ? il me semble que je vois le spectre de mon cousin cherchant Roméo qui lui traversa le corps de sa rapière : — arrête, Tebaldo, arrête ! — Je viens, Roméo ! c’est pour toi que je bois ceci. (Elle se jette sur son lit.)