Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/131

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trépas a couché avec ta fiancée : vois, la voici étendue, fleur comme elle était, déflorée par lui. Le trépas est mon gendre, le trépas est mon héritier ; il a épousé ma fille ! je vais mourir, et lui tout laisser ; vie et biens, tout cela appartient au trépas.

PARIS. — Ai-je donc tant aspiré à voir se lever ce jour pour qu’il me donnât un pareil spectacle ?

MADONNA CAPULET. — Ô jour maudit, malheureux, odieux, lamentable ! Ô heure la plus misérable qu’ait jamais vue le temps dans le cours de, son éternel pèlerinage ! N’avoir qu’une enfant, une pauvre enfant, une pauvre enfant chérie, n’avoir qu’elle pour joie, et consolation, et la cruelle mort vient l’enlever à mes yeux !

LA NOURRICE. — Ô malheur ! Ô malheureux, malheureux, malheureux jour ! Ô jour lamentable ! le plus déplorable jour que j’aie jamais, jamais contemplé encore ! Ô jour ! ô jour ! ô jour ! ô jour odieux ! Fut-il jamais un jour si noir que celui-là ! Ô malheureux jour ! ô malheureux jour

PARIS. — Trompé, divorcé, outragé, méprisé, assassiné ! Ô très détestable mort, tu m’as trompé et ruiné, cruelle, cruelle que tu es ! Ô amour ! ô vie ! vie, non, mais amour au sein de la mort !

CAPULET. — Méprisé, dépouillé, haï, martyrisé, tué ! Ô temps implacable, pourquoi es-tu venu à cette heure assassiner, assassiner ; notre fête ? — Ô mon enfant ! ô mon enfant ! mon âme, et non mon enfant ! es-tu donc morte ? Hélas ! mon enfant, est morte, et avec mon enfant mes joies ; sont ensevelies !

LE FRÈRE LAURENT. — Paix, de grâce, paix ! Le remède aux choses lamentables n’est pis dans ces lamentations. Le ciel et vous possédiez en commun cette belle vierge ; maintenant le ciel l’a tout entière, et son sort n’en est que plus heureux. Vous ne pouviez pas protéger. la part que vous aviez d’elle contre la mort ; mais le ciel conserve la part qu’il avait d’elle dans la vie éternelle. Le but que vous poursuiviez avant tout était son élévation ; son élévation était votre ciel à vous : et mainténant,