Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Viens voir l’état dans lequel tu laisses tes appuis, les gibelins de Vérone, les gibelins d’Orvieto. les gibelins de Crémone. Où en sont-ils ? Les uns sont abattus, les autres bien menacés. » Cette interprétation qui est la vraie est appuyée par un commentaire d’une des plus anciennes éditions de Dante, commentaire qui établit que par les noms Montecchi, Cappelletti, etc., Dante désigne non des familles, mais des régions. Les Montecchi, dit ce commentateur, sont là pour Vérone, les Cappelletti pour Crémone et une partie de la Lombardie, les Monaldi et les Filippeschi pour Orvieto et une partie de la marche d’Ancône.

Premier point bien établi, les Montaigu et les Capulet appartenaient au même parti politique, le parti gibelin. Un autre commentateur de Dante, qui fit des cours publics sur la divine Comédie vers l’an 1375 (c’est-à-dire à une époque très-rapprochée, et de Dante, et de la date assignée à l’histoire de Romeo et Juliette), Benvenuto de Rambaldi d’Imola, s’exprime ainsi sur ces deux familles : « Istae fuerunt duae clarae familiae Veronae, quae habuerunt diù bellum cum alia. familia nobilissimâ, scilicet cum comitibus de Sancto Bonifacio. Nam Monticuli comités cum favore Eccelini de Romano ejecerunt Azonem II, marchionem Eslensem, rectorem illius civitatis. Sed ipse in manu forti cum comité Alberto Sancti Bonifacii, Monticulis acte debellatis, reintravit Veronam, ubi finem vitae feliciter terminavit. » « Ce furent deux familles illustres de Vérone qui eurent longtemps la guerre avec une autre famille très-noble, les comtes de Saint -Boniface. Les comtes de Montaigu. en effet avec la faveur d’Ezzelin de Romano chassèrent Azon II, marquis d’Este, gouverneur de cette ville. Mais celui-ci revint en main forte avec le comte Albert de Saint-Boni face, et les partisans de Montaigu ayant été battus en bataille rangée, Azon rentra dans la ville où il acheva sa vie heureusement. » Ainsi ces fameux rivaux auraient été unis par les liens politiques les plus étroits et par la fraternité du champ de bataille, mais à la vérité avant la date assignée à l’histoire de Roméo et Juliette, puisque la citation que nous venons de faire se rapporte à une époque antérieure au pouvoir des della Scala, pendant laquelle Ezzelin de Romano chef des gibelins disputait Vérone au marquis d’Este, chef des guelfes. Le même fait, cité plus haut, est rapporté au commencement de sa nouvelle par Luigi da Porto, qui, circonstance singulière, admet lui aussi que ces deux familles avaient été antérieurement unies contre Azon d’Este.

Maintenant ces deux familles ont-elles existé en réalité, et ne sont-elles pas plutôt des noms de partis, comme vient de nous le dire un des commentateurs cités plus haut ? Il semble bien qu’il ait existé en toute réalité à Vérone une famille du nom de Montaigu. Celle famille aurait été la plus importante des familles gibelines de cette région, et par suite aurait donné son nom à tout le parti gibelin véronais. Plusieurs fois exilée de Vérone par le parti guelfe, elle en aurait été expulsée définitivement sous la domination même du parti gibelin en 1324, et se serait établie à Udine. Au moins c’est là ce qu’admet Luigi da Porto dont l’opinion est corroborée par un curieux extrait d’une chronique d’Udine que je trouve citée en note par l’éditeur italien. « Non sans amertume, et en sanglotant,