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ACTE I, SCÈNE II.

ROMÉO. — Je vais te le dire, sans te Je faire redemander. Je suis, allé à une fête, avec mon ennemi, jet là, soudainement, j’ai été blessé par quelqu’un qui a été blessé par moi ; notre guérison à l’un et à l’autre dépend de ton appui et de ta sainte médecine : je n’ai point de haine, saint homme ; car, vois, mon intercession s’étend aussi à mon ennemi.

LE FRÈRE LAURENT. — Expose ce que tu as à me dire en termes simples et ronds, mon bon fils ; une confession énigmatique ne reçoit qu’une absolution équivoque.

ROMÉO. — Alors sache sans délai que le plus cher amour de mon cœur s’est fixé sur la belle jeune fille du riche Capulet : comme le mien s’est fixé sur elle, ainsi le sien s’est fixé sur moi ; tout est conclu, sauf ce que tu peux conclure par le saint mariage : quand, où, comment, nous nous sommes rencontrés et avons échangé des paroles d’amour et des serments, je te le dirai, en, nous promenant ; mais je te prie tout de suite de consentir à nous marier aujourd’hui.

LE FRÈRE LAURENT. — Bienheureux saint François, quel changement est-ce là ? Cette Rosaline que tu aimais si tendrement a-t-elle donc été oubliée si vite ? en ce cas l’amour des jeunes hommes n’a pas sa vraie résidence dans leur cœur, mais dans leurs yeux. Jésus Maria ! de quel déluge de larmes n’as-tu pas lavé tes joues creusées par le chagrin pour Rosaline ? Ah ! que d’eau salée dépensée en vain pour l’assaisonnement d’un amour dont tu ne goûtés pas ! Le soleil n’a pas encore dissipé le brouillard de tes soupirs ; tes anciens gémissements résonnent encore à mes vieilles oreilles ; là, sur ta joue, je vois la tache d’une ancienne larme qui n’a pas, encore été essuyée : si jamais tu fus toi-même, et si ces douleurs furent les tiennes, toi et ces douleurs vous apparteniez, entièrement à Rosaline ; et c’est ainsi que tu as, changé ! en ce cas, prononce cette sentence-ci les femmes peuvent bien tomber, quand les hommes ont si peu de force.

ROMÉO. — Tu m’as grondé souvent parce que j’aimais Rosaline.