Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

278 SONNETS.

II

Lorsque quarante hivers assiégeront ton front, et creuseront de profondes tranchées dans le champ de ta beauté, la fiere parure de tajeunesse aujourd’hui tant admirée ne sera plus qu’un vêtement en loques tenu en peu d’estime : alors, lorsqu’on te demandera où a passé toute ta beauté, où se trouve le trésor de tes jours de vigueur, répondre qu’il se trouve dans tes yeux creux et enfoncés serait honte dévorante et inutile vanité. Quelle autre louange mériterait l’usage que tu aurais fait de ta beauté, si tu pouvais répondre : ce bel enfant peut faire mon compte et excuser mes jours passés. Si tu prouvais ainsi que sa beauté est ta succession, cesserait" renaître lorsque tu seras vieux, et découvrir que ton sang est chaud alors que tu le sentiras glacé.

III.

Regarde-toi dans ton miroir, et dis au visage que tu contemples que maintenant le temps est venu pour ce visage d’en former un autre ; si tu ne cherches pas maintenant à le recréer à nouveau, tu trompes le monde, tu laisses sans bénédiction une certaine mère ; car où est la belle dont les flancs encore vierges dédaigneraient le labourage de tes soins maritaux ? ou qui donc est assez fou pour vouloirêtre la tombe de l’amour de soi-même en arrêtant sa postérité ? Tu es le miroir de ta mère, et en toi ses yeux retrouvent L’aimable avril de son printemps ; c’est ainsi que toi-même, à travers les fenêtres de la vièiilesséj tu contempleras en dépit des rides ton heureux temps d’aujourd’hui. Mais si tu vis pour ne pas laisser de souvenirs, meurs solitaire, et ton image mourra avec toi.

IV

Beauté mal administrée, pourquoi dépenses-tu solitaire l’héritage de tes charmes ? la nature ne donne rien, elle prête, et comme elle est franche, elle prête à ceux qui ont de la libéralité. Pourquoi, bel avare, abuses-tu des génèrea-