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ŒUVRES EN PROSE

Même les crimes et la méchanceté de l’Isolé, si flétrissants et si terribles qu’ils soient, ne sont pas le produit d’un inexplicable penchant au mal, mais ils sortent fatalement de certaines circonstances qui doivent forcément leur donner naissance. Ils sont, en quelque sorte les enfants de la nécessité et de la nature humaine. C’est en cela que consiste la morale directe du livre, et c’est peut-être celle qui est la plus importante, celle dont l’application est la plus universelle, parmi les leçons qui peuvent être confirmées par l’exemple. Traitez quelqu’un avec méchanceté, et il deviendra méchant. Rendez mépris pour affection ; choisissez un être, pour quelque motif que ce soit et faites-en le rebut de son espèce ; séparez de la société cet être, né sociable, et vous lui imposez des nécessités irrésistibles, la méchanceté et l’égoïsme. C’est ainsi que cela se passe trop souvent dans la société : des êtres qui possèdent toutes les qualités pour en être l’utilité ou l’ornement, sont par le fait de quelque hasard, marqués au fer rouge, pour devenir un objet de mépris, pour être transformés par l’indifférence et la solitude du cœur, en un fléau, en une malédiction.

L’Isolé, dans Frankenstein, est assurément un personnage redoutable. Il était impossible qu’il n’eût pas subi parmi les hommes ce traitement qui conduisait aux résultats que devaient produire sa nature d’être sociable. Il était un avorton, une anomalie, et bien que son esprit fût tel que l’avaient formé ses premières impressions, c’est-à-dire aimant et plein de sensibilité morale, néanmoins les