Page:Siefert - Les Saintes Colères, 1871.djvu/18

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Ne peut pas s’y tromper. Il était si gentil ;
Pour plume il aurait pris le bout de son fusil ;
Avec ça, doux, rangé, soigneux comme une fille…
Que voulez-vous ? On est ainsi dans la famille.
Notre sang aime à voir le grand soleil. Il faut
Qu’on se batte. De père en fils c’est le défaut.
Le bisaïeul que j’ai connu dans mon enfance
Et centenaire, était à Denain. Notre France
Fut envahie alors comme aujourd’hui. — Le roi
Vaut l’empereur. — L’aïeul était à Fontenoy.
— Je crois qu’on s’en voulait pour de la politique. —
Le père était partout durant la République :
Sur le Rhin, en Hollande, — et c’était le grand temps !
Vint le premier empire, et j’avais dix-sept ans
Quand j’ai fait à mon tour ma première campagne.
L’ennemi nous passa sur le corps en Champagne
Pour entrer dans Paris, où jamais jusque-là
Nul n’avait pu venir. — Il nous coûtait cela,
Napoléon ! — Après mes douze ans de service,
Et beaucoup de travail pour peu de bénéfice,
Je me suis marié, les enfants ont grandi ;
Quand je les regardais, j’étais ragaillardi.
J’aimais à voir aussi près d’eux leur pauvre mère ;
Elle est morte, les fils sont partis pour la guerre,
Et je me suis fait vieux pour mourir le dernier.
L’aîné me ressemblait : l’autre, le pontonnier,
Tenait de ma défunte, il était blond comme elle.
Vous voyez cette eau bleue ? on dirait sa prunelle.
Quelque chose me dit qu’il restera là-bas,