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GASTON CHAMBRUN

beur, sut les prévenir. Les travaux de couture qui avaient été son gagne-pain, l’avaient rendue fort habile au maniement de l’aiguille ; aussi, ses heures de loisir furent-elles sagement distribuées entre des ouvrages de broderie et de saines lectures. Jeanne s’ingéniait à les choisir conformes aux goûts de Monsieur Richstone, qui volontiers en faisait le thème de leurs conversations.

Or, ce jour-là, tous deux revenaient de la grand’messe, vers l’heure de midi ; sur la place de l’église, ils croisèrent le facteur qui leur dit en les saluant d’un air jovial :

— Vous êtes les bienvenus ; votre rencontre me sauve un quart d’heure de chemin. »

Le courrier du commerçant était toujours volumineux : tandis que d’un regard inquisiteur la jeune fille suivait les recherches de l’employé.

— Prenez patience, Mademoiselle, ajouta celui-ci en souriant, vous aurez votre part, et il lui remit deux lettres.

Les remerciements et les saluts échangés :

— J’avais senti cela ce matin, s’exclama Marie-Jeanne radieuse : quelque chose me disait qu’il y aurait du nouveau aujourd’hui !…

L’écriture de Gaston lui était connue ; mais la seconde l’intrigua tout le long du chemin qui les ramenait à leur demeure. Bien vite les enveloppes furent brisées, mais plus promptes encore furent les larmes d’allégresse qui aussitôt noyèrent les yeux de l’ardente lectrice ; elle dut s’éponger les paupières avant de poursuivre sa lecture, ou plutôt avant de relire le passage qui mettait enfin, le comble à des vœux formulés depuis longtemps.

Oui, c’en était fait ; la nouvelle bien authentique était là devant ses yeux éblouis : Gaston lui réitérait son serment de fidélité et ferait coïncider son retour définitif au pays avec celui de la bonne saison ; c’était l’aurore prochaine de leur bonheur commun.

Monsieur Richstone applaudit de tout cœur au succès d’une entreprise qu’il avait fait sienne et dont la réalisation allait donner à son existence une physionomie nouvelle.

La seconde lettre, datée de Saint-Lazare de Vaudreuil, était formulée en ces termes :


Ma bonne Jeanne,


« Il y a une huitaine, nous recevions la visite des sauvages et nous leur avons acheté notre huitième !… C’est une petite fille — tu me comprends — mais elle nous est arrivée si fragile et si fluette, que par prudence, sur l’avis du médecin, nous avons procédé de suite à l’ondoiement. Cependant le cher bébé s’est entêté à vivre et aujourd’hui il a plus que triplé de poids.

Nous attendrons à la Noël pour la cérémonie du baptême : vous nous refuserez pas d’être parrain et marraine, Monsieur Richstone et toi. Comptant recevoir au plus tôt une réponse favorable, d’avance nous jouissons du bonheur de votre visite : nous aurons tant de choses à nous dire !… Depuis la mort de ta chère Maman, il ne se passe point de journées, où notre souvenir à toutes deux, ne soit dans mes pensées et dans mes prières. À bientôt le plaisir de vous posséder.

Ta tante affectionnée,
Céline.


Marie-Jeanne, qui aux heures d’évagation rêvait de berceau, de langes ou de dentelles, dont les doigts agiles se plaisaient à broder des layettes sans destination précise, fut aussi heureuse que surprise de se voir devinée par sa tante. Ce sentiment, joint au souvenir de la cordiale hospitalité que celle-ci lui avait offerte au jour de l’isolement, commandait à la jeune fille une prompte et franche adhésion à une demande d’ailleurs si conforme à ses goûts.

Tante Céline elle-même serait heureuse de s’enquérir de la nouvelle condition de sa nièce et des rumeurs relatives à son mariage ; elle aurait plaisir à la féliciter de son bonheur actuel et d’en remercier Monsieur Richstone, le premier et principal auteur. Ce dernier, avec empressement avait accepté la mission qui lui était offerte. Une semaine encore les séparait des fêtes de Noël.

Outre le rôle spirituel qui leur incombait, les invités n’eurent garde d’oublier celui que les circonstances semblaient leur imposer. Parrain !… Marraine !… ces noms seuls associent dans l’esprit de l’enfant les idées de joie, d’affection, de caresses et aussi de cadeaux. Messagère de bonheur au milieu d’une légion de cousins et de cousines, la fiancée de Gaston dut envisager, vu le mauvais état des chemins, le retard ou l’absence possible de « Santa Claus » et se pourvoir en conséquence !…

Tous les plans combinés, il ne restait qu’à se procurer le véhicule qui, à travers le fleuve et par des chemins d’hiver en campagne, conduirait nos passagers au terme de leur voyage ; il ne fallait point songer à l’automobile pour la circonstance. La Providence se chargea de résoudre le problème.

Quelques jours avant la date du départ, un cultivateur de Sainte-Marthe se présentait aux bureaux de Monsieur Richstone pour des achats assez considérables. La prospérité croissante de sa ferme nécessitait des agrandissements aux étables et l’obligeait d’ajouter un hangar aux granges trop étroites. Les travaux devaient commencer au printemps prochain ; lui-même avait voulu faire le choix de ses matériaux et ne placer sa commande de bois, qu’à bon escient.

Effrayé d’abord par le montant de son emplette, notre homme hésitait devant la dépense ; mais il se décida et revint bientôt : c’était la veille de Noël. Absent depuis trois jours, il lui tardait de rentrer au logis, se souciant fort peu de passer cette veillée le long de la route, loin des siens.

Au cours de la conversation, le client eut vite décliné ses titres et qualités, nom et prénoms, y compris celui de sa paroisse.

— Vous repartez pour Sainte-Marthe ? reprit Monsieur Richstone. Mais c’est le chemin de Saint-Lazare, n’est-il pas vrai, père Boudreau ?

— Oui, assurément, acheva le brave homme, mais avec deux heures de route en moins.

— Jeanne ? appela le commerçant : voici ton cocher prêt ; ce monsieur part ce matin pour Sainte-Marthe et doit passer à Saint-Lazare. Il va se faire un plaisir de te prendre avec lui, n’est-ce pas le Père ?… on s’en rappellera au règlement des comptes.

— Vous me faites injure, repartit l’interlocuteur piqué : il n’est pas dans mes habitudes de vendre mes services. Ma carriole est à votre