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L’ÉCRIN DISPARU

— La gloire vaut-elle mieux ? n’est-elle pas aussi vaine ?… Et de quel prix ne faut-il pas la payer ! Mon rêve à moi, mon cher Léo, c’est de rester dans l’état où nous sommes.

— Oublies-tu Lucie, qu’on ne vit pas pour soi ; qu’on se doit aux siens ? que c’est pour toi, pour nos chers enfants, que je voudrais réussir !… Seul ?… je vivrais sans ambition, quasiment sans besoins…

Lucie savait bien qu’il disait vrai ; que sous son air froid et égoïste il cachait des trésors de tendresse.

C’étaient les épreuves de la vie, qui l’avaient aigri, et son pessimisme paraissait incurable. Une fois encore la jeune mère soupira. Puis les douze coups de minuit sonnèrent à la pendule du salon.

— Entends-tu Léo ?… il est grand temps d’aller reposer.

Déjà, il se levait sans répondre ; puis, bientôt Lucie éteignit la lumière.

Sans bruit, pour ne pas réveiller les enfants, qui sous la lueur vacillante d’une veilleuse dormaient dans la chambre voisine, GIRALDI ne ferma que les persiennes, car, bien que rafraîchie, la température demeurait encore élevée.

Avant de prendre son repos, il voulut accorder à ses yeux comme à son cœur, le spectacle si doux de sa jeune famille reposant dans le calme de l’insouciance, auréolée de candeur. Voici le petit lit blanc de Madeleine ; quelle quiétude ; elle aura dix ans à la Saint-Michel ; brune comme son père, à travers les paupières fermées, celui-ci voit les yeux bleus de la Maman. Dans l’autre, Gaston, enfoui sous ses oreillers, laisse apparaître un côté de son petit front volontaire et ronfle de tout son cœur. Le berceau est occupé par Jean, qui va atteindre ses dix-huit mois et demi, et dont l’heureux père ne se lasse pas d’admirer les petites mains potelées, la bouche rose et les jolis yeux clos sous les blondes boucles de ses cheveux en broussailles. Tandis qu’attendri, Léo s’attardait aux charmes angéliques de son chérubin, à l’autre extrémité de la pièce, déjà Lucie reposait, fatiguée par les émotions de cette longue veille.

GIRALDI quitta ce sanctuaire du sommeil serein, ému et pensif, ouvrit la fenêtre de sa chambre, s’y accouda rêveur. La douceur de l’atmosphère, le scintillement des étoiles, les sentiments si divers, qui dans cette journée, avaient traversé son âme, l’inclinaient plus à la rêverie qu’au sommeil.

Invinciblement, sa pensée allait à l’agonisant, qui là-bas, achevait sans doute de mourir. Puis, obsédante, cette idée revenait sans cesse :