Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/189

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même dans les travaux de la dernière classe, les salaires d’été sont toujours les plus élevés. Or, à cause de la dépense extraordinaire du chauffage, la subsistance d’une famille est plus coûteuse en hiver. Ainsi, les salaires étant plus élevés lorsque la dépense est moins forte, il paraît clair qu’ils ne sont pas réglés sur ce qu’exige le strict nécessaire, mais bien sur la quantité et la valeur présumée du travail. On dira peut-être que l’ouvrier doit épargner une partie de ses salaires d’été pour subvenir aux dépenses de l’hiver, et que les salaires de toute l’année n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour l’entretien de sa famille pendant toute l’année.

Cependant, nous ne traiterions pas de cette manière un esclave ou quelqu’un qui dépendrait absolument et immédiatement de nous pour sa subsistance. Sa subsistance journalière serait proportionnée à ses besoins de chaque jour.

En second lieu, les salaires du travail, dans la Grande-Bretagne, ne suivent pas les fluctuations du prix des denrées. Ce prix varie partout d’une année à l’autre, souvent d’un mois à l’autre. Mais en beaucoup d’endroits le prix pécuniaire du travail reste invariablement le même, quelquefois un demi-siècle de suite[1]. Si, dans ces localités, un pau-

  1. Le travail, ainsi que toutes choses que l’on peut acheter et vendre, et dont la qualité peut augmenter ou diminuer, a un prix naturel et un prix courant. Le prix naturel du travail est celui qui fournit aux ouvriers, en général, les moyens de subsister et de perpétuer leur espèce sans accroissement ni diminution. Les facultés qu’a l’ouvrier pour subvenir à son entretien et à celui de la famille nécessaire pour maintenir le nombre des travailleurs, ne tiennent pas à la quantité d’argent qu’il reçoit pour son salaire, mais à la quantité de subsistances et d’autres objets nécessaires ou utiles, dont l’habitude lui a fait un besoin. Le prix naturel du travail dépend donc du prix des subsistances et de celui des choses nécessaires ou utiles à l’entretien de l’ouvrier et de sa famille. Une hausse dans les prix de ces objets fera hausser le prix naturel du travail, lequel baissera par la baisse des prix.

    Plus la société fait de progrès, plus le prix naturel tend à hausser, parce qu’une des principales denrées qui règlent le prix naturel, tend à renchérir en raison de la plus grande difficulté de l’acquérir. Néanmoins, les améliorations dans l’agriculture, la découverte de nouveaux marchés d’où l’on peut tirer des vivres, peuvent, pendant un certain temps, s’opposer à la hausse du prix des denrées, et peuvent même faire baisser leur prix naturel. Les mêmes causes produiront un semblable effet sur le prix naturel du travail.

    Le prix naturel de toute denrée, les matières premières et le travail exceptés, tend à baisser, par suite de l’accroissement des richesses et de la population ; car, quoique d’un côté leur valeur réelle augmente par la hausse du prix naturel des matières premières, cela est plus que compensé par les perfectionnements des machines, par une meilleure division et distribution du travail, et par l’habileté toujours croissante des producteurs dans les sciences et les arts.

    Le prix courant du travail est le prix réel qu’on le paye, selon la proportion dans laquelle il est offert ou demandé, le travail étant cher quand les bras sont rares, et à bon marché quand ils abondent. Quelque grande que puisse être la différence entre le prix courant et le prix naturel du travail, ces deux prix tendent, ainsi que toutes les denrées, à se rapprocher. C’est lorsque le prix courant du travail s’élève au-dessus de son prix naturel, que le sort de l’ouvrier est réellement prospère et heureux, et qu’il peut se procurer en plus grande quantité tout ce qui est utile ou agréable à la vie, et par conséquent élever et maintenir une famille robuste et nombreuse. Quand, au contraire, le nombre des ouvriers est augmenté par l’accroissement de la population, que la hausse des salaires a encouragé, les salaires baissent de nouveau à leur prix naturel, et quelquefois même, l’effet de la réaction est tel, qu’ils tombent encore plus bas.

    Quand le prix courant du travail est au-dessous de son prix naturel, le sort des ouvriers est déplorable, la pauvreté ne leur permettant plus de se procurer les objets que l’habitude leur a rendus absolument nécessaires. Ce n’est que lorsqu’à force de privations le nombre des ouvriers se trouve réduit, ou que la demande de bras s’accroit, que le prix courant du travail remonte de nouveau à son prix naturel. L’ouvrier peut alors se procurer encore une fois les jouissances modérées qui faisaient son bonheur. Ricardo.