Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/219

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fabrique des toiles, les salaires des divers ouvriers, tels que les séranceurs du lin, les fileuses, les tisserands, etc., venaient tous à hausser de deux deniers par journée, il deviendrait nécessaire d’élever le prix d’une pièce de toile, seulement d’autant de fois deux deniers qu’il y aurait eu d’ouvriers employés à la confectionner, en multipliant le nombre des ouvriers par le nombre des journées pendant lesquelles ils auraient été ainsi employés. Dans chacun des différents degrés de main-d’œuvre que subirait la marchandise, cette partie de son prix, qui se résout en salaires, hausserait seulement dans la proportion arithmétique de cette hausse des salaires. Mais si les profits de tous les différents maîtres qui emploient ces ouvriers venaient à monter de 5 p. 100, cette partie du prix de la marchandise qui se résout en profits, s’élèverait dans chacun des différents degrés de la main-d’œuvre, en raison progressive de cette hausse du taux des profits ou en proportion géométrique. Le maître des séranceurs demanderait, en vendant son lin, un surcroît de 5 pour 100 sur la valeur totale de la matière et des salaires par lui avancés à ses ouvriers. Le maître des fileuses demanderait un profit additionnel de 5 pour 100, tant sur le prix du lin sérancé dont il aurait fait l’avance, que sur le montant du salaire des fileuses. Et enfin, le maître des tisserands demanderait aussi 5 pour 100, tant sur le prix par lui avancé du fil de lin, que sur les salaires de ses tisserands. La hausse des salaires opère sur le prix d’une marchandise, comme l’intérêt simple dans l’accumulation d’une dette. La hausse des profits opère comme l’intérêt composé. Nos marchands et nos maîtres manufacturiers se plaignent beaucoup des mauvais effets des hauts salaires, en ce que l’élévation des salaires renchérit leurs marchandises, et par là en diminue le débit, tant à l’intérieur qu’à l’étranger ; ils ne parlent pas des mauvais effets des hauts profits ; ils gardent le silence sur les conséquences fâcheuses de leurs propres gains ; ils ne se plaignent que de celles du gain des autres[1].

  1. Qu’on ne suppose pas qu’en affirmant que l’accumulation du capital entre les mains des personnes qui ne les créent ni ne les emploient arrête la marche de la Société, j’aie méconnu ce principe, que si les fonds des capitalistes ne donnaient aucun profit, il n’existerait plus de but à l’épargne, de stimulant pour l’industrie, et d’accroissement dans la richesse nationale. Loin de méconnaître cette loi, c’est précisément en raison de l’importance que j’y attache que je n’ai pu statuer avec promptitude et dogmatiquement à ce sujet. Cependant il est évident que le principe qui affirme que l’intérêt du capital est nécessaire pour stimuler l’économie et l’industrie, est de tous points incompatible avec celui qui proportionne l’énergie et l’habileté du travail au taux de la récompense, puisque l’intérêt doit être prélevé sur le produit du travailleur.

    Je puis bien comprendre comment le droit de s’approprier, sous le nom d’intérêt ou de profit, le produit d’autres individus, devient un aliment à la cupidité ; mais je ne puis imaginer qu’en diminuant la récompense du travailleur pour ajouter à l’opulence de l’homme oisif, on puisse accroître l’industrie ou accélérer les progrès de la société en richesse. L’intérêt sur le capital était salutaire alors qu’il tendait à réduire la puissance des seigneurs féodaux, ces maîtres absolus de tous les travailleurs esclaves d’un pays ; mais c’est une grave erreur d’assigner comme cause générale un fait propre seulement à transformer ou à altérer une usurpation particulière.

    En réfléchissant sur le principe de la population relativement à nos affections, et observant ce qui a lieu dans les déserts de l’Amérique, nous sommes conduits, je crois, à une solution différente de celles données généralement sur cette question : « S’il se peut ou non que la société se développe là où le capital n’appelle pas l’intérêt. » La première réflexion nous démontrera que le produit de tout travailleur est impérieusement réclamé par la nourriture de sa propre famille. Élever ses enfants, pourvoir à leurs besoins est, en général, pour le travailleur, un motif suffisant de travailler. Comme ceux-ci ont été élevés et ont appris un art manuel, ils deviennent travailleurs, étendent la division du travail, provoquent l’accroissement des lumières, et développent, à leur tour, la population et le produit annuel d’une société. Dans l’état actuel, les épargnes du capitaliste sont aussi bien consommées que toute autre partie du produit annuel, et cela, généralement par des travailleurs ; mais passant premièrement par les mains du capitaliste, celui-ci en prélève pour lui-même une large part qui eût été répartie aux travailleurs, et leur eût permis d’entretenir de plus grandes familles, tout en étendant la division du travail ; ce que les capitaux croissants n’opèrent point. Les motifs qui portent à épargner, dit un rédacteur du Westminster Review, existent entièrement en dehors de l’accroissement des épargnes elles-mêmes. L’affection paternelle est, je crois, une source féconde d’industrie et d’économies qui permet à l’homme d’élever une famille en partageant avec elle le produit de son travail ; et là où de nombreuses familles se forment, la nation croit en richesse et en population.

    Dans le fait, c’est une misérable illusion que d’appeler capital un objet économisé. La plus grande partie n’en est pas destinée à la consommation et échappe à jamais aux désirs de bien-être. Lorsqu’un sauvage a besoin de nourriture, il ramasse ce que la nature lui offre spontanément. Plus tard, il découvre qu’un arc ou une fronde lui offre la possibilité de tuer des animaux sauvages à distance ; et, aussitôt, il se décide à les fabriquer, subsistant comme il le peut, pendant que ce travail s’achève. Il n’épargne rien ; car, quoique par sa nature l’instrument soit plus durable que la chair de daim, il ne fut jamais destiné à la consommation. Cet exemple représente ce qui a lieu dans tous les rangs de la société, si ce n’est que les divers travaux sont faits par différentes personnes. L’un fabrique l’arc ou la charrue, tandis que l’autre tue les animaux ou cultive la terre, afin de pourvoir aux besoins de ceux qui font les instruments et les machines. Un excédant de travail peut seul, hormis des cas particuliers et des circonstances passagères, permettre d’amasser ou d’épargner des marchandises dont l’utilité diminue généralement, en raison directe de leur monopole ou accaparement. Les économies du capitaliste, comme on les appelle, sont consommées par le travailleur, et l’on n’entend point parler d’une accumulation actuelle dans les marchandises. Hodgskins.