Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/24

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ser sa mémoire. Lorsqu’enfin il fit paraître son livre (c’était au commencement de 1776), Hume, que nous avons plaisir à citer comme l’expression la plus avancée des économistes de l’époque, lui écrivit, sous la date du 1er avril de la même année, ces lignes remarquables : « Courage, mon cher monsieur Smith : votre ouvrage m’a fait le plus grand plaisir, et en le lisant, je suis sorti d’un état d’anxiété pénible. Cet ouvrage tenait si fort en suspens et vous-même, et vos amis, et le public, que je tremblais de le voir paraître ; mais enfin je suis soulagé. Ce n’est pas qu’en songeant combien cette lecture exige d’attention et combien peu le public est disposé à en accorder, je ne doive encore douter quelque temps du premier souffle de la faveur populaire. Mais on y trouve de la profondeur, de la solidité, des vues fines et ingénieuses, une multitude de faits curieux ; de tels mérites doivent tôt ou tard fixer l’opinion publique. » Hume terminait cette lettre en annonçant à Smith qu’il lui contesterait quelques-uns de ses principes ; et certes, au moment où il écrivait, lui seul peut être, en Europe, était en état de lutter contre un si formidable jouteur.

À l’apparition des Recherches sur les causes de la Richesse des Nations, la France était sous le charme de l’école physiocrate, et quoique le chef de la secte, Quesnay, fût déjà mort, ses successeurs, plus clairs et plus complets qu’il ne l’avait été lui-même, propageaient ses doctrines avec une ardeur religieuse. Mercier de La Rivière, le marquis de Mirabeau, Dupont de Nemours, et vingt autres appartenaient à cette église libérale, qui trouva bientôt dans Turgot un ministre assez puissant pour faire exécuter ses commandements. Aussi le livre d’Adam Smith n’eut-il qu’un retentissement très-borné en France. Tout le monde vivait sous l’empire de la Formule universelle, développée en plusieurs volumes par l’Ami des hommes. Des milliers de livres avaient paru pour attaquer avec une égale ardeur ces dogmes mystérieux du produit net, en vertu desquels l’école économiste classait les producteurs suivant de nouvelles méthodes, et plaçait au premier rang d’entre eux les propriétaires fonciers. Adam Smith renversa d’un trait de plume cet