Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

devenus riches et puissants. Les villes de Tyr, de Sidon et de Carthage, les cités de l’Asie Mineure, les colonies grecques de l’Italie méridionale avaient dirigé de ce côté tous leurs efforts, et toujours avec succès. La politique des gouvernements de l’antiquité s’était constamment attachée à protéger les entreprises de ce genre, et à s’assurer, autant que possible, les monopoles dont ils avaient pu se prévaloir. Nous voyons dans Strabon (liv. III), qu’un marchand phénicien se rendant aux îles Cassitérides pour y chercher du plomb et de l’étain, par une navigation qui n’était connue que des gens de sa nation, s’aperçut qu’il était suivi par un navire romain qui voulait acquérir la connaissance de cette route. Le Phénicien aima mieux se jeter sur des récifs qui brisèrent son vaisseau, pour faire périr après lui celui qui suivait sa trace, et ayant eu l’adresse de sauver sa personne, il fut largement indemnisé de sa perte par ses compatriotes, et en reçut même une glorieuse récompense.

Dans les temps modernes, les Vénitiens, les Génois, les Pisans, en suivant la même carrière, s’étaient élevés à un haut degré de puissance et de prospérité. Enfin, les Portugais qui venaient de découvrir ou de retrouver le passage aux Indes par le cap de Bonne-Espérance, étonnaient l’Europe de leurs succès, et ne purent manquer d’exciter vivement l’émulation de tous les peuples qui s’étaient déjà pourvus de quelques moyens de navigation.

Dès lors toutes les grandes nations de l’Europe, l’Angleterre, la Hollande, l’Espagne et la France regardèrent la mer qui baignait leurs côtes comme la route infaillible qui devait les conduire à la prééminence sur tous les autres peuples. Ainsi prit naissance ce système commercial qui domine encore dans la politique de tous les gouvernements modernes. Croire qu’il fut le fruit de profondes méditations, de calculs habilement combinés, ce serait complètement méconnaître la manière dont se règlent les affaires publiques et dont l’administration se conduit dans sa marche. Subjuguée par les habitudes et par l’impulsion reçue, entraînée malgré elle par les agents subalternes qui la délivrent d’une grande partie de ses soins, redoutant par-dessus tout les innovations dont elle est hors d’état de bien juger les effets, considérant les vieilles routines comme consacrées par l’expérience, tant que les dommages qui en résultent ne sont pas encore d’une évidence trop frappante, elle s’abandonne par instinct à la route frayée, comme étant celle qui lui paraît la moins pé-