Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/462

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elles avaient quelque peu dépassé les bornes de leur commerce, et elles s’étaient attiré cette perte, ou au moins cette diminution de profit qui, dans ce genre particulier de commerce, ne manque jamais d’être la suite du moindre pas qu’on fait au-delà des bornes. Ces commerçants et entrepreneurs, ayant tiré tant de secours des banques et des banquiers, cherchèrent à en tirer encore de plus étendus. Ils s’imaginèrent, à ce qu’il semble, que des banques pouvaient étendre leurs crédits à quelque somme que ce fût, selon le besoin qu’on en avait, sans s’exposer à d’autre dépense qu’à celle de quelques rames de papier. Ils se plaignirent des vues étroites et de la pusillanimité des directeurs de ces banques, qui ne savaient pas, disaient-ils, étendre leurs crédits à proportion de l’extension du commerce du pays ; voulant dire sans doute, par l’extension du commerce, celle de leurs projets au-delà de ce qu’ils étaient en état d’entreprendre avec leurs propres fonds, ou avec ce que leur crédit leur permettait d’emprunter des particuliers par la voie ordinaire d’obligation ou d’hypothèque. Il paraît qu’ils s’étaient figuré que l’honneur de la banque l’obligeait à remplir ce déficit, et à leur fournir tout le capital dont ils avaient besoin pour leurs entreprises. Les banques toutefois furent d’une autre opinion, et sur le refus qu’elles firent d’étendre leurs crédits, quelques-uns de ces spéculateurs recoururent à un expédient qui remplit pour un temps leurs vues, à plus grands frais à la vérité, mais d’une manière aussi efficace qu’eût pu le faire l’extension la plus immodérée des crédits de la banque. Cet expédient n’était autre chose que la pratique bien connue de renouveler ses traites[1], c’est-à-dire, de tirer successivement des lettres de change l’un sur l’autre, pratique à laquelle ont quelquefois recours de malheureux négociants quand ils sont aux bords de la banqueroute. Cette manière de faire de l’argent est connue depuis longtemps en Angleterre, et on dit qu’elle a été portée extrêmement loin pendant le cours de la dernière guerre, où le taux élevé des produits du commerce donnait une grande tentation d’étendre ses affaires au-delà de ses forces. D’Angleterre, cette pratique s’introduisit en Écosse, où, en comparaison du commerce très-borné de ce pays et de la modicité de son capital, elle fut bientôt portée beaucoup plus loin qu’elle n’avait jamais été en Angleterre.

  1. Cette pratique se nomme, dans quelques places de France, faire la navette. On appelle aussi papier de circulation les traîtes factices ainsi obtenues.