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possible[1]. La multiplication récente de compagnies de banque, dans toutes les parties des royaumes unis, événement qui a si fort alarmé beaucoup de gens, bien loin de diminuer la sûreté du public, ne fait que l’augmenter. Elle oblige tous ces banquiers à mettre plus de circonspection dans leur conduite ; elle les empêche d’étendre leur émission de billets au-delà de la proportion que comporte l’état de leur caisse, afin de se tenir en garde contre ce reflux de papier que leur suscite malicieusement la rivalité de tant de concurrents toujours prêts à leur nuire ; elle circonscrit la circulation de chaque compagnie particulière dans un cercle plus étroit, et elle restreint leurs billets circulant à un plus petit nombre. En tenant ainsi la circulation divisée en plus de branches différentes, elle fait que la faillite de l’une de ces compagnies, événement qui doit arriver quelquefois dans le cours ordinaire des choses, devient un accident d’une moins dangereuse conséquence pour le public. Cette libre concurrence oblige aussi les banquiers à traiter avec leurs correspondants d’une manière plus libérale et plus facile, de peur que leurs rivaux ne les leur enlèvent. En général, dès qu’une branche de commerce ou une division du travail quelconque est avantageuse au public, elle le sera toujours d’autant plus, que la concurrence y sera plus librement et plus généralement établie.


CHAPITRE III.

de l’accumulation du capital, ou du travail productif et du travail non productif.


Il y a une sorte de travail qui ajoute à la valeur de l’objet sur lequel il s’exerce ; il y en a un autre qui n’a pas le même effet. Le premier, produisant une valeur, peut être appelé travail productif ; le dernier, travail non productif[2]. Ainsi, le travail d’un ouvrier de manufacture ajoute

  1. Mais pour rendre effective cette obligation de payement immédiat et sans condition, il est indispensable d’exiger des banques des garanties.
  2. Dans ce chapitre, Smith distingue deux espèces de travail ; il qualifie l’un de productif, et l’autre de non productif, et il pense que le premier est plus favorable que l’autre à l’accroissement de la richesse nationale. Cette distinction semble, à quelques égards, peu conciliable avec les principes établis par l’auteur lui-même sur la nature du travail ; les caractères sur lesquels il veut fonder cette distinction ne sont pas assez nettement tracés pour qu’on puisse faire la séparation qu’il indique ; et enfin, les conséquences qu’il voudrait tirer de cette définition sont susceptibles d’être contestées.
    La richesse, a-t-il dit, consiste dans le pouvoir d’appliquer le travail d’autrui, moyennant salaire, à ses propres besoins, commodités et jouissances. Donc tout travail salarié est essentiellement productif d’une chose utile, commode ou agréable pour celui qui le paye, sans quoi celui-ci ne le payerait pas ; ce travail est non moins essentiellement productif d’un salaire pour celui qui l’exécute, sans quoi il ne travaillerait pas. Tout travail salarié (et c’est le seul dont s’occupe l’économie politique) est un service, et l’utilité ou l’agrément que procure ce service, voilà le produit du travail, et il ne peut en avoir d’autre. Quelquefois le travail est directement et immédiatement payé par celui qui en consomme le produit, et c’est ce qui a toujours lieu quand le service du travailleur est rendu, sans nul intermédiaire, à celui qui paye ce service. Plus souvent, le travail est mis en œuvre par un tiers, qui ne se propose nullement d’en consommer le produit, mais qui entend le faire payer par un autre en se réservant un profit pour lui-même. Dans ce second cas, il y a un entrepreneur de travail qui fait l’avance du salaire, avec l’intention de s’en faire rembourser par celui auquel est définitivement destiné le produit du travail. Ce cas ne peut avoir lieu qu’autant que l’utilité ou l’agrément que procurera le travail résulte de la préparation ou du transport de quelque objet matériel. Mais, dans l’un comme dans l’autre cas, on ne paye le travail qu’en raison du prix qu’on attache à l’utilité ou a l’agrément qu’il procure, et il est indifférent à celui qui veut satisfaire son besoin ou son goût, que cette satisfaction procède ou non d’un objet matériel.
    Ce sont cependant ces deux cas qui ont paru à Smith assez distincts en eux-mêmes et par leurs conséquences, pour devoir fonder la distinction qu’il a établie entre le travail productif et le travail non productif. Il appelle travail productif celui qui ajoute une valeur à celle du sujet sur lequel il s’exerce ; tel est, dit-il, en général, le travail des ouvriers de manufacture, qui ajoute à la valeur de la matière celle de son salaire et du profit de son maître. Le travail du domestique, au contraire, quoique également salarié, n’ajoute à la valeur de rien, et la valeur de ce que ce domestique a consommé ne se retrouve nulle part. C’est pour cette raison que ce dernier genre de travail est distingué du premier et est réputé improductif. On s’enrichit, dit Smith, à employer une multitude d’ouvriers fabricants ; on s’appauvrit à entretenir une multitude de domestiques. Cependant il reconnait que le travail des domestiques a sa valeur et mérite son salaire aussi bien que le travail de l’ouvrier ; mais, ajoute-t-il, le travail de l’ouvrier se fixe et se réalise sur un objet ou sur une chose vénale, qui dure au moins quelque temps après que le travail a cessé. Enfin, le caractère qui distingue le travail non productif, c’est de périr à l’instant même où le service est rendu, de ne laisser après soi aucune valeur vénale avec laquelle on puisse acheter un autre service.
    Cette définition comprend quelques-unes des professions les plus utiles, et même celles qui sont les plus importantes et les plus respectables dans la société, savoir, les membres du gouvernement, les magistrats, les ecclésiastiques, les militaires, les légistes, les médecins, les savants et les gens de lettres. Elle s’applique aussi à d’autres professions moins utiles et moins élevées, mais qui contribuent beaucoup à l’agrément de la vie, tels que les musiciens, les comédiens, les danseurs, etc.
    Toute la distinction, comme on voit, porte sur cette circonstance : c’est que le travail des ouvriers et artisans se réalise sur une valeur vénale, et que le travail des autres personnes placées dans la classe non productive est complètement éteint dès qu’il a été exécuté. Cette différence toutefois n’est pas autre chose que celle qui, par la nature même des choses, existe entre la production et la consommation. Les ouvriers de manufacture travaillent pour un maître qui ne consomme pas, mais qui veut vendre leur produit. Si ce travail n’était pas de nature à former une valeur vénale, s’il ne se fixait pas sur la matière confiée à l’ouvrier, s’il périssait sous la main de celui-ci, il ne pourrait pas être l’objet d’une spéculation de manufacture. Ce travail de l’ouvrier de fabrique n’est pas un des procédés de la production, une des opérations nécessaires pour que la matière devienne un objet propre à la consommation. Quant au travail dont le consommateur reçoit immédiatement le produit, il est tout simple que ce produit périsse à l’instant même où ce travail est exécuté, parce que c’est le propre de toute consommation de détruire, et que la jouissance du consommateur résulte de cette destruction même.
    On a dit que les objets immatériels étaient seuls susceptibles d’être accumulés, et de former ainsi un capital servant à accroître la production future. Il est vrai que si l’augmentation des demandes de la consommation encourage l’industrie à déployer de nouveaux efforts et ouvre au travail de nouveaux emplois, alors un surcroît de capital devient nécessaire pour mettre et tenir en activité ce surcroît d’industrie et de travail ; il est également vrai que ce capital ne peut se composer que d’objets matériels accumulés. Mais ce qu’il est essentiel d’observer, c’est que ce ne sont pas indistinctement tous les produits matériels qui peuvent faire fonction de capital, et il y a une grande partie de ces produits matériels qui n’y seraient nullement propres. Les matières premières, les articles nécessaires à la subsistance et au vêtement, tels sont les seuls produits avec lesquels on puisse entretenir des ouvriers. Vainement aurait-on accumulé par le travail réputé productif, des soieries, des rubans, des gazes, des mousselines, des broderies, des dentelles, de la parfumerie, etc., si toutes ces choses ne peuvent trouver des acheteurs qui aient moyen de les payer et de donner en retour les matières premières et les vivres ; une telle accumulation sera totalement inutile pour la production future. De quelque côté qu’on se tourne dans ce cercle de raisonnements, on trouve toujours en face de soi ce principe invariable, c’est que le produit, quel qu’il soit, n’a de valeur qu’autant qu’un consommateur est prêt à se présenter pour le payer par un équivalent, lequel équivalent n’a lui-même de valeur qu’autant qu’il est demandé.
    Ce qui importe vraiment à la société, c’est de posséder un capital suffisant pour entretenir la totalité du travail que ses membres peuvent demander et payer ; ce qui lui importe, c’est que ce capital suit épargné et accumulé de manière à s’accroitre graduellement à proportion que les demandes de la consommation provoquent l’activité d’une plus grande quantité de travail, et par conséquent l’emploi de plus de capital ; mais ce qui n’importe nullement à la société, c’est que ce capital soit épargné et accumulé par telles ou telles mains, par celles qui ont concouru directement à le produire, ou par d’autres dans lesquelles il est parvenu par voie d’échange ou en retour de services rendus.
    Garnier.